La CNAM a beaucoup misé sur les téléservices ces dernières années. Elle y trouve probablement un intérêt puisqu’elle a tenu à les intégrer dans le Forfait Structure. Mais cet intérêt est-il équivalent pour les médecins ? A l’évidence non. Parce que tout bêtement, quand une fonctionnalité est bonne, il n’y a pas besoin de payer les utilisateurs pour les convaincre. Alors que manque-t-il aux téléservices pour convaincre totalement ?
La télétransmission
Ce n’est pas à proprement parler un téléservice, mais elle en est indissociable. Elle est totalement passée dans la pratique, d’autant qu’elle est maintenant totalement obligatoire, et fait partie du socle de base pour pouvoir bénéficier du Forfait Structure (taux de télétransmission supérieur à 66% nécessaire). Globalement ça fonctionne plutôt bien. Mais elle n’est pas totalement exempte de défauts.
La radinerie de la CNAM
C’est le défaut principal du système et je ne crois pas qu’il existe un autre qualificatif. Et il conduit à des aberrations : j’ai personnellement une Carte Vitale (CV) qui date du siècle dernier, plus précisément du 16/01/1999. Et nous avons tous tous les jours entre les mains des CV anciennes, abîmées, pliées, auxquelles il manque des bouts de puce, cassées par le milieu … et que la CPAM refuse totalement de changer « puisqu’elles fonctionnent encore très bien » ! Et donc de temps en temps ça refuse obstinément de marcher. Ou pire ça perd des morceaux dans le lecteur ce qui nous oblige ensuite à le démonter pour pouvoir continuer à l’utiliser.
C’est le genre de chose totalement inenvisageable dans une logique commerciale. Les banques changent systématiquement les cartes bancaires tous les 3 ans. Et si d’aventure votre CB ne fonctionne plus, vous en avez une nouvelle dans la semaine. Mais évidemment les banques ne s’amusent pas à coller une photo inutile et moche (une photo couleur sur un fond vert ! une aberration chromatique) sur les cartes bleues, ni à faire remplir des formulaires de 6 pages en triple exemplaire pour ça.
Les flux dégradés
L’exemple même de la logique shadock administrative. Les flux dégradés ne sont pas considérés comme de la transmission ! Ça ressemble à de la télétransmission, ça s’envoie comme de la télétransmission, c’est traité à la CPAM comme de la télétransmission … mais ce n’est pas de la télétransmission ! Si bien que la CNAM a dû décider en catastrophe cette année de valider pour tous les médecins l’item télétransmission, le boum des téléconsultations ayant fait exploser les chiffres des flux dégradés !
Notons quand même une grosse amélioration, puisqu’enfin l’obligation des duplicatas papier est suspendue ! Nous avons peut-être donc une petite chance qu’enfin la CNAM se rende compte qu’elle est grandement gagnante dans l’affaire, le traitement des flux dégradés (si on ne compte pas le traitement des duplicatas papier) étant 15 fois moins cher que celui des feuilles de soin papier, et que les médecins libéraux ne sont pas tous des escrocs en puissance … même si certains médecins en profitent pour passer en payant des actes qui seraient peut-être restés gratuits autrement.
La grosse difficulté des flux dégradés est quand même de savoir de quels régime, caisse, statut (ayant-droit ou assuré) le patient dépend. Surtout si on ne le connaît pas ou s’il a changé de statut par rapport aux informations du dossier. Le service ADRi (Acquisition des DRoits intégrée) est souvent d’une grande aide, ou le portail des droits en ligne, mais ça n’est pas toujours suffisant.
Les téléservices CNAM
Nous ne parlerons que des services présents sur EspacePro. Leurs pendants intégrés dans les logiciels médicaux sont souvent bien plus aboutis …
Globalement les téléservices ont déjà tous le même défaut irritant, qui est l’obligation de télécharger les documents PDF sans pouvoir les intégrer directement dans les dossiers des patients. Donc des manipulations supplémentaires, donc du temps en plus, et des risques d’erreur …
Et l’autre défaut qui est de ne pas pouvoir coller dans la case de recherche par le numéro INS le numéro tel qu’il apparaît habituellement, avec les espaces … et donc oblige à resaisir le numéro à la main.
Et surtout … l’impossibilité d’accès à EspacePro pour les remplaçants ou même pour les installés qui auraient l’idée saugrenue de se connecter avec leur e-CPS. et oui, à l’heure où la CNAM prône la dématérialisation, elle n’a pas encore réussi à intégrer les e-CPS à EspacePro.
La déclaration de médecin traitant ou DCMT
Le téléservice le plus aimé des médecins. Mais aussi le plus simple (2 cases à cocher). Et au moins on est raisonnablement sûr que le patient n’oubliera pas de l’envoyer et qu’elle ne se perdra pas dans les méandres de la CPAM. Et puis normalement c’est « one-shot ». Il est juste dommage qu’on ne puisse pas le faire sans CV (cf le paragraphe d’avant pour les difficultés liées aux absences de CV).
La déclaration de grossesse
La mal aimée des libéraux. Peut-être parce que finalement c’est plus long à faire que par écrit (2 dates et une signature). Ou parce qu’une grande partie des déclarations de grossesse se fait en maternité ? et que les hospitaliers n’utilisent pas les téléservices …
L’arrêt de travail en ligne ou AAT
Là ça commence à se gâter. Imagine-t-on un service informatique qui ne garde pas en mémoire, en particulier en cas de prolongation :
- l’employeur du patient
- le motif de l’arrêt de travail
et n’est pas capable
- de proposer directement par défaut une prolongation quand le patient est déjà en arrêt
- de proposer une liste de communes à partir d’un code postal
- de signaler que la prolongation pose problème parce qu’il y a un hiatus entre l’arrêt précédent et la prolongation
et bien le service AAT le fait ! Mais ne nous plaignons pas, cette dernière version a fait des progrès par rapport à la précédente. La CNAM et ses informaticiens sont donc capables d’améliorations.
L’accident de travail en ligne ou CMATMP
On y retrouve TOUS les défauts de l’arrêt de travail en ligne.
Avec le petit détail qui tue : si vous écrivez comme motif « entorse du pouce droit » il faut quand même aller cocher la case « droit » en-dessous pour caractériser le côté de la lésion. Ce qui ne fait que perpétuer une longue tradition à la CNAM de renvoi au rédacteur de certificats d’AT avec la mention « veuillez préciser le côté de la lésion » alors qu’elle figure déjà en toutes lettres (bon parfois ce n’est pas évident, je marque bilatéral).
D’ailleurs, comme la plupart des CPAM exigent que le motif d’un AT ne bouge pas d’une virgule d’un certificat à l’autre, ce serait une bonne idée qu’il soit reporté automatiquement en cas de prolongation.
Ce serait aussi d’ailleurs une bonne idée qu’il y ait un feuillet pour l’employeur en cas de reprise de travail… ça nous simplifierait la vie.
Les Protocoles d’Examen Spécial (aka « demandes d’ALD« ) ou PSE
Eux se sont nettement complexifiés depuis que bon nombre de pathologies demandent à nouveau une description et un plan de soin détaillés … dans une case de texte qui ne permet pas d’aller à la ligne, donc de présenter les choses de façon claire et organisée.
On pourrait aussi imaginer que la case de début de la maladie reste en blanc, surtout quand ça remonte à quelques années et qu’on ne la connaît pas avec précision. Les PES papier admettent parfaitement 2002 comme date de début.
Avec la mention spéciale pour les renouvellements d’ALD du service dédié, qui ne permettent même pas qu’on clique sur la pathologie pour arriver directement sur un PSE prérempli qu’il suffirait de compléter un peu ou même juste de valider.
Et l’autre mention spéciale pour la MGEN toujours incapable à ce jour d’en faire bénéficier ses assurés (pas plus d’ailleurs que des services AAT ou CMATMP)
Les prescriptions de transport
Ça peut être utile (au moins c’est raisonnablement infalsifiable) à la triple condition
- qu’on ne soit pas en visite
- que le transporteur puisse aller la récupérer sur Ameli
- que ce ne soit pas un cas particulier, seuls les cas « standard » étant gérés dans le téléservice
Bilan de soins infirmiers
Ça pourra être utile … quand ça sera enfin généralisé aux moins de 80 ans …
Echanges Médicaux sécurisés
Ça c’est véritablement utile pour contacter les médecins-conseil. Il ne manque plus qu’une chose : obtenir des réponses dans des délais raisonnables par un médecin-conseil, plutôt que par un technicien. A noter qu’il existe une fonction semblable pour écrire à à-peu-près n’importe quelle caisse en utilisant l’onglet « contact » du pavé du dessous.
Accord préalable médicament
Tellement ultra-spécialisé que je crois que les utilisateurs se comptent sur les doigts d’une main.
Les petits nouveaux
La crise COVID a vu fleurir 3 nouveaux téléservices, plus ou moins bien finis.
Le service Vaccination Covid
La bonne et même l’excellente nouvelle de ce jour 15 mars : la CNAM est capable de tenir compte des retours des utilisateurs.
Comme nous l’avions demandé, la nouvelle version mise en ligne permet enfin de mettre en mémoire, pour la journée
- Le vaccin utilisé
- son numéro de lot
- le lieu de vaccination et son type, ainsi que son numéro FINESS
- le code postal et la ville de vaccination
ce qui représente une simplification fantastique et un gain de temps conséquent, ainsi qu’une grosse minimisation des risques d’erreur.
On peut aussi enfin corriger une saisie erronée, tant qu’on n’a pas validé l’étape suivante.
On peut aussi neutraliser la deuxième injection pour ceux qui sont vaccinés après un Covid (ou prochainement pour ceux qui seront vaccinés avec un Janssen)
Et cerise sur le gâteau, chaque médecin peut retrouver la liste des patients pour lesquels il a déclaré l’éligibilité ou qu’il a vaccinés, pour une date ou une plage de dates données.
Deux gros avantages : contrôler le paiement des déclarations par les caisses, et retrouver rapidement les patients vaccinés lors d’une première vacation pour saisir plus rapidement leur deuxième vaccination.
Dommage qu’il persiste tout de même cet irritant défaut de la déconnexion systématique toutes les heures, qui oblige à se reconnecter.
Le Service ContactCovid
Sa seule qualité ou presque est la possibilité de copié-collé du numéro SS.
Sinon :
- il n’est pas exhaustif
- on ne peut toujours pas consulter le dossier d’un patient dont on n’est pas le MT désigné (très utile dans les cabinets de groupe)
- on ne peut toujours pas modifier les dossiers qu’on n’a pas créés
C’est donc le prototype du service mal conçu, mal finalisé, et donc inutile.
Mais comme dans les faits les médecins sont mis à l’écart de la gestion des cas Covid …
Le service déclaration SI-DEP (des tests antigéniques)
C’est incontestablement le plus malcommode, long à renseigner, avec de multiples items, dont certains à écrire deux fois, incompatible avec Safari ou Firefox sur Mac.
Un tout petit peu amélioré depuis qu’il est enfin compatible avec la lecture des CV !
Mais la CNAM n’est pas totalement responsable, puisque c’est une réalisation de l’APHP.
L’avantage c’est que le temps de le remplir … le test a le temps d’être positif ou négatif.
Alors au final :
La CNAM nous montre finalement qu’elle PEUT tenir compte des retour utilisateurs quand elle le VEUT vraiment.
Et elle veut que les médecins utilisent les téléservices. Alors pourquoi laisser autant de défauts rédhibitoires ? Les médecins ne sont pas stupides, s’ils y trouvent leur compte et leur avantage, bien sûr qu’ils les utiliseront.