Fort-de-France, le 6 juillet 2020
La Martinique s’interroge sur la pertinence de la présence des médecins cubains sur notre territoire.
Ce dispositif ayant un impact sur la prise en charge des patients qui accordent leur confiance, dans une très large majorité, aux médecins libéraux pour l’encadrement de leur état de santé, génère de nombreuses questions dont les réponses doivent être clarifiées pour l’ensemble de la population :
1) Sur le plan législatif
Le décret n° 2020-377 du 31 mars 2020 qui fixe, à titre dérogatoire sur le territoire français, les modalités d’exercice des professionnels de santé titulaires de diplômes hors Union Européenne, pour la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre et Miquelon, entre en vigueur le 26 juillet 2020.
- Pourquoi ne pas avoir attendu cette date ? Dans son article 9 ce décret fixe une entrée en vigueur immédiate, fondée sur l’article 8, lequel constitue une exception temporaire liée à l’état d’urgence associé à la pandémie virale en cours. Peut-on considérer actuellement que la Martinique soit en état de situation d’urgence sanitaire pour un accueil prioritaire de ces médecins ? Cette urgence ne concerne-t-elle pas d’avantage la Guyane ?
- La différence entre les dispositions générales du décret et l’exception définie par l’article 8 consiste dans ce dernier cas, en un examen beaucoup plus superficiel des qualifications des professionnels concernés. S’agit-il d’une démarche visant à ne pas trop analyser les compétences de ces praticiens ?
- L’absence de représentant de l’ARS sur le tarmac de l’aéroport Aimé Césaire à l’arrivée de la délégation cubaine, semble d’ailleurs signifier que cette arrivée se situe hors du cadre du décret, pourtant cité dans la presse comme le sésame du débarquement de cette délégation le 26 juin 2020. Dans ce cas, qui a vérifié leurs qualifications ? Dans quel cadre se situent cette arrivée et ce séjour ?
2) Sur le plan médical
La raison principalement avancée de l’arrivée des praticiens cubains en Martinique est le déficit chronique de médecins, toutes spécialités confondues mais surtout de certaines comme l’ophtalmologie, la gynécologie, la cardiologie tant dans le secteur libéral que le secteur hospitalier.
Depuis l’évocation de cette « solution » cubaine les médecins libéraux s’y opposent, la qualifiant de « fausse solution » car « De fausses solutions n’ont jamais constitué de réponses à de vrais problèmes »
- Dans un rapport publié par l’URML de Martinique le 29 septembre 2019, il a été démontré que les vrais problèmes résultent à la fois d’une mauvaise gestion historique de la démographie médicale et d’un défaut d’attractivité de l’Outre-Mer pour les médecins en formation :
- 59,3 % des étudiants issus du concours de 1ere année aux Antilles et en Guyane se dirigent vers une spécialité en Métropole sans faire le choix de revenir ;
- 53,9% des étudiants formés à une spécialité aux Antilles-Guyane repartent ailleurs.
Une véritable fuite de cerveaux majorée par la souffrance des « blouses blanches » du secteur hospitalier qui sont régulièrement dans les rues de l’Hexagone depuis mars 2019, souffrance multipliée par 2 ou 3 en Outre-Mer. Car c’est à l’hôpital que sont principalement formés les internes. Que fait-on pour les retenir sur nos territoires ? Les solutions proposées dans le rapport précité ont-elles été prises en considération ?
- Ce rapport est appuyé par un courrier en date du 23 octobre 2019, portant la signature du Président de la Conférence Nationale des URPS – Médecins Libéraux, à laquelle est rattachée l’ensemble des Unions de médecins libéraux du territoire français, dont l’URML de Martinique. Ce courrier a été adressé au Président de la République, au Premier Ministre, aux Ministres de l’Intérieur, de la Santé, des Outre-Mer, de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur, aux Présidents du Conseil National de l’Ordre des Médecins, des Conseils Départementaux de l’Ordre des Médecins de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Réunion, de Mayotte, à l’ensemble des Directeurs Généraux des ARS, à l’ensemble des Présidents ou Doyens des UFR de Médecine. 69 lettres au total, 6 réponses reçues (des 4 ministères soulignés ainsi que de la Directrice de l’ARS de Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélémy et du Président de l’Université des Antilles).
- La délégation cubaine doit séjourner 3 mois en Martinique. Que sont censés accomplir ces médecins en 3 mois pour la santé en Martinique ? Que veut-on cacher derrière cette durée incongrue ?
- Dans la mesure où leur « séjour » ne serait pas validé selon les dispositions de l’article 8 du décret :
- Quel est l’intérêt encore, pour la santé en Martinique, d’avoir des médecins qui ne sont pas autorisés à prescrire ?
- Ont-ils même le droit d’examiner des malades ?
- Qui se porte garant du respect du Secret Médical ?
- Le Secret Médical est un devoir pour tout médecin exerçant en France et un droit pour le patient.
- Quel risque entraîne cette situation pour le futur professionnel des étudiants de nos régions si les postes sont déjà occupés ?
3) Sur le plan politique
- Peut-on ignorer le dépôt d’une plainte, depuis mai 2019, à la Cour Pénale Internationale de la Haye contre l’Etat Cubain, pour comportement « esclavagiste » envers ses médecins envoyés en mission à l’étranger ?
- Peut-on ignorer que de temps à autres certains de ces médecins demandent l’asile politique aux pays qui les reçoivent dans le cadre de ces missions ? Dans une telle éventualité ici, que se passerait-il ?
- Peut-on rester neutre quand un journal titre : « Médecins Cubains en Martinique : une opération de propagande cautionnée par la France » (l’Express 29/06/2020)
- Peut-on ne pas s’interroger sur le coût de cette « coopération » de 3 mois avec :
- transfert aérien aller-retour par vol spécial, hébergement en pension complète, cours de français,
- transferts régulier des praticiens vers les différents sites,
- rétribution prévue à l’Etat cubain,
pour une délégation qui comporte certes des médecins mais aussi « un directeur administratif et un chef de brigade ». Quel est d’ailleurs l’intérêt pour la santé en Martinique de ces 2 derniers « invités » ?
- Qui finance ? La CTM seule (avec nos impôts) ? La CTM, le CHUM et la Clinique Saint Paul ?
Docteur Charles-Henri BELLON
Docteur Anne CRIQUET-HAYOT – Présidente de l’URML Martinique