Une saga en trois actes .
Acte 1 : Fin des remboursements des dépassements pour les seniors !
L’option de modération tarifaire (OPTAM) et son pendant OPTAM-CO pour les spécialistes à plateaux techniques lourds ont entraîné la création de deux nouveaux secteurs d’exercices : secteur 1 OPTAM et secteur 2 OPTAM. Fallait-il en arriver là ? D’un point de vue social, certainement pas ! Pour la simple raison qu’ils participent par les mensonges, sur lesquels ces deux secteurs reposent, à la crise sans précédent qui a frappé l’hôpital public. Une crise d’autant plus pernicieuse qu’elle a eu pour conséquence de desservir de façon tout à fait inattendue les intérêts de ceux que l’assurance maladie voulait défendre. Rappelons au passage que l’assurance maladie n’est qu’un simple organisme de gestion de fonds publics et non une entreprise à vocation politicienne.
Quels sont ces deux mensonges ?
Le premier mensonge affirme que les dépassements d’honoraires sont excessifs. La faute en réalité en est due plus aux différentes taxes imposées à chaque mandature aux dépassements d’honoraires qu’aux dépassements eux-mêmes. Des taxes qui enrichissent l’État au détriment du fonctionnement de l’entreprise médicale libérale.
Le deuxième mensonge, son corollaire, sous-entend que la difficulté d’accès aux soins serait uniquement due à ces dépassements excessifs propres au secteur 2 à honoraires libres. Plutôt que de poursuivre une politique conventionnelle désastreuse depuis trente ans, l’État devrait plutôt imposer à la CNAM d’augmenter de façon conséquente les tarifs opposables des médecins libéraux, les plus bas d’Europe. Ainsi, les dépassements ne seraient plus excessifs et les médecins plus enclins à s’installer en secteur 1 au tarif opposable. Le problème ne se poserait plus en ces termes et apporterait une solution à la désertification médicale rurale, semi-rurale et urbaine …
Derrière ces deux mensonges ne se cache en définitive qu’une volonté. Celle de privilégier l’hôpital public au détriment de la médecine libérale.
Pour autant, ces deux mensonges sur lesquels ont été construits le CAS puis l’OPTAM, ne peuvent être à eux seuls responsables de la crise hospitalière avant COVID. D’où sort-elle alors, puisqu’à en croire nos administratifs et gouvernants, l’hôpital public serait un lieu de travail rêvé pour les médecins qui préfèrent désormais et de beaucoup le salariat à l’activité libérale ?
Il faut donc autre chose pour l’expliquer. Cette autre chose a un fondement forcément politique. Tout récemment, une artiste interviewée sur le petit écran exprimait son mécontentement devant notre ministre de la santé, Olivier Véran, en déclarant « vous avez détruit l’hôpital et le système de santé des Français ».
L’auteur de cette remarque ignorait que la cause de cette destruction repose non pas sur les seules épaules de notre ministre, garant certes de cette même politique, mais sur une simple phrase écrite à la marge d’un travail sur l’avenir du système de santé des Français, retrouvée dans les dossiers de l’ex-présidence de la République.
Cette phrase disait : « fin des remboursements des dépassements aux seniors ! »*
Serait-ce dans cette petite phrase que se trouve l’explication de la crise hospitalière avant COVID ?
* information donnée par un haut-fonctionnaire du ministère de l’Intérieur.
Acte II – L’arme fatale : les outils anti-dépassements de l’assurance-maladie
Pour mettre en forme cette arme fatale ou le « déremboursement des dépassements » générateur d’une crise hospitalière sans précédent, plusieurs outils ont été nécessaires. Ils n’ont pas été créés en un jour … De la même façon, la crise hospitalière avant COVID qui en a résulté ne s’est pas nouée en un seul jour …
Le premier de ces outils repose sur la création dans les deux dernières conventions médicales du contrat d’accès aux soins ou CAS en 2012 puis en 2016 de l’OPTAM et de l’OPTAM-CO. Comme on peut le constater, il a fallu plusieurs années pour que les médecins adoptent le CAS puis l’OPTAM et l’OPTAM-CO. Pour y arriver, la CNAM et ses administratifs ont utilisé un discours plutôt spécieux* puis une action résolument punitive. Son résultat est acté dans le bilan plus que mauvais de la convention de 2016.
En pratique, seule la suppression des forfaits de plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les non signataires a poussé les médecins généralistes secteur 2 aux dépassements peu excessifs à l’adopter, mais en aucun cas les primes présentées par la CNAM comme avantageuses. Pour les spécialistes, les avantages en sont même ridicules et risibles sauf pour les spécialistes secteur 1 qui par l’OPTAM ont pu croire gagner un peu plus de liberté d’honoraires tout en collant aux conditions de vie des assurés dans les bassins de vie précarisés dans lesquels ils se sont installés.
La complexification du mode de calcul de la prime et la perte du dépassement pour exigence (DE conventionnel) puisqu’il entre dans le mode de calcul du seuil de dépassement dont dépend la prime font du contrat OPTAM un véritable marché de dupes.
Finalement, le contrat OPTAM dont l’assurance maladie ne respecte même pas les conditions correspond beaucoup plus à un piège et à une punition qu’à un système favorable aux médecins, même secteur 1, du fait de la perte du DE. Ce contrat OPTAM ne rend finalement service qu’aux assurances complémentaires en les enrichissant au passage et aux patients qui peuvent profiter de leur assurance complémentaire « responsable et solidaire ».
En effet, la création des contrats d’assurances complémentaires ou mutuelles « solidaires et responsables » dont les dépassements d’honoraires restent limités à seulement 200% est le deuxième outil inventé par l’assurance maladie pour peaufiner son arme fatale. En imposant ce type de contrat limitatif, le gouvernement d’alors, sous couvert de certains avantages comme l’absence de questionnaire santé à l’adhésion et la baisse de la fiscalité adossé à ce nouveau type de contrat diminuant ainsi leur coût, histoire d’être très « tendance », avait bien pour seul objectif d’obliger les assurances complémentaires à participer activement à la lutte contre les dépassements d’honoraires. C’est même écrit en toutes lettres sur le site d’une assurance complémentaire !
Toutefois, ce deuxième outil ne pouvait faire force de loi sans la publication dans la foulée du décret du 18/11/2014, troisième et dernier outil. Il imposait donc aux assurances complémentaires les contrats « solidaires et responsables » et y ajoutait en prime une condition supplémentaire, particulièrement scélérate, à savoir la fin du remboursement de tout dépassement au 1er janvier 2017 dès lors que le médecin serait non signataire de l’OPTAM.
L ‘assurance maladie créait donc pour la première fois dans son histoire au nom du partenariat médecin-caisse un secteur honni, montré du doigt, en l’occurrence celui des médecins secteur 2 conventionnés à honoraires libres non signataires de l’OPTAM, invitant de fait leurs patients à les quitter puisqu’elle mettait fin aux remboursements de leurs dépassements et pire différenciait le remboursement de l’acte de base en le laissant à 23 euro versus 25 pour les autres assurés. Une différence aggravée pour les consultations complexes et toute consultation au tarif opposable exclusif, dernière mouture ajoutée à cette lutte anti-dépassement contre un secteur 2 pourtant légalisé par la loi, depuis le gouvernement de Raymond Barre.
La création de deux catégories d’assurés sociaux mettait fin à l’universalité de l’assurance maladie. Qui plus est sans aucune réaction des grands défenseurs des valeurs républicaines. L’argent serait donc devenu pour l’assurance-maladie une religion …
Mais comme tout un chacun le sait, le possesseur d’une arme peut la voir se retourner contre lui. La crise hospitalière avant COVID en est l’exemple parfait.
Acte III Bien pris qui croyait prendre
Ce qu’il faut retenir et ce que les assurés sociaux concernés ont compris avec retard, se conçoit ainsi : la promulgation du décret du 18/11/2014 sonnait le glas au 1er janvier 2017 des remboursement des dépassements d’honoraires de tous les médecins secteur 2 conventionnés à honoraires libres non signataires de l’OPTAM pour les seniors… les retraités… et autres personnes aisées capables de s’offrir une assurance complémentaire « solidaire et responsable ».
L’effet recherché par l’ex-gouvernement Hollande-Marisol Touraine était bien de détourner les assurés sociaux de l’offre de soins proposées par les 25000 médecins secteur 2 conventionnés à honoraires libres (sur les 100 000 médecins libéraux). Un détournement d’autant plus voulu qu’il concernait cette caste de seniors, ces favorisés, responsables à leurs yeux du déficit de l’assurance maladie sans oser le dire. C’est donc bien par la modification des règles de remboursement qui touchait au portefeuille des assurés ciblés que c’est concrétisé ce détournement. Il ne s’est pas fait vers les généralistes et spécialistes de ville au tarif opposable déjà surbookés mais bien vers les consultations hospitalières, mis en avant par la politique hospitalo-centrée déployée depuis plus de vingt ans. L’arme utilisée au détriment des spécialistes libéraux tous d’ailleurs issus de la méritocratie hospitalière, a donc bien fonctionné jusqu’à ce que se surajoute à ces seniors l’ensemble de la population des salariés juniors possédant une assurance complémentaire « solidaire et responsable ». La venue de ces juniors, inattendue, est aussi la conséquence de la fiscalisation de la part d’assurance complémentaire payée par l’entreprise. Payer des impôts sur une assurance complémentaire coûteuse qui ne vous rembourse plus rien est bien un élément incitatif à profiter de ce qui est payé par l’impôt comme justement nos hôpitaux public.
Au commencement, les hôpitaux se sont tout d’abord réjouis de l’arrivée de cette manne inattendue, valorisée par la mise en place des consultations complexes qui permettaient à un grand nombre de consultations hospitalières d’être beaucoup mieux rémunérées, (60 € versus 25 €). Puis progressivement, les capacités d’accueil se sont vues dépassées, non pas tant en nombre de places disponibles en consultation, extensibles par définition, mais du fait de l’insuffisance en nombre de personnels, soignants ou non, capables de les prendre en charge. Le nombre substantiel de postes hospitaliers toujours vacants en apporte la preuve !
L’activité hospitalière prit vite les caractéristiques d’une entreprise stakhanoviste si chère à nos penseurs et administratifs, comme le montre l’augmentation importante des activités de tous les services dont les services d’urgences. Ces derniers devenaient à leur insu des centres de consultation palliant les insuffisances des services, incapables d’assumer une aussi forte demande de consultation. La phrase régulièrement prononcée par les patients suivis en consultation hospitalière : « mon médecin hospitalier m’a dit de passer par les urgences » (paroles d’urgentiste) permet de l’affirmer. L’excès de fréquentation des services d’urgences ne repose donc pas sur les seuls médecins généralistes libéraux mais bien sur cette politique hospitalo-centrée, sectaire et désertifiante privant les assurés sociaux de médecin traitant en ville. À cette gabegie, il faut ajouter une politique de suppression des lits d’aval voulue par les administratifs. Une politique qui a montré tous ses effets délétères depuis l’entrée en jeu de la pandémie COVID. Pressés de toute part, les personnels soignants se sont épuisés à la besogne, sans en tirer un quelconque bénéfice financier. L’échec du Ségur de la santé, hospitalo-centré, malgré ses 7 milliards, le démontre.
La rupture entre l’administration et les soignants a favorisé la désorganisation du système de soins et a donné corps à cette crise hospitalière sans précédent. Elle renaîtra à coup sûr de ses cendres, une fois la pandémie éteinte.
Pour autant, la crise hospitalière n’est pas la seule conséquence néfaste de cette stratégie punitive hospitalo-centrée Hollande-Touraine-Revel suivie par Buzyn puis Véran-Fatome. Il y a plus grave encore puisque cette arme fatale touche désormais les plus précaires, les pauvres, les assurés laissés pour compte, tous ceux touchés par les conséquences de la pandémie.
En effet, les soignants ne sont plus les seules victimes. Les patients précaires dont l’hôpital symbolise le sanctuaire, entrent désormais en concurrence avec cette population privilégiée détournée des soins de ville. Il n’est désormais plus bon d’être précaire quand le patient plus aisé et plus respectueux de par son éducation possède les moyens de se faire admettre dans un lit d’un service, au nombre minimum calculé. L’hôpital public (et en particulier « l’assistance publique » d’après le témoignage d’un de ses cadres) n’est plus le refuge des pauvres, des économiquement faibles. Il est devenu l’hôpital des privilégiés. Celui d’avoir un médecin traitant ou d’être un patient aisé suivi en consultation hospitalière. Les plus à plaindre sont donc ceux sans médecin traitant, passant par les urgences, du fait de cette politique anti-libérale, source de désertification, réaffirmée par l’avenant 9 proposé avec mépris par M. Thomas Fatome.
Plutôt que de se gargariser d’un #fièredeprotéger, l’assurance maladie devrait inscrire sur ses en-têtes #Bien-pris-qui-croyait-prendre ou #l’arroseur-arrosé. Il est impensable que l’on ne puisse changer une politique aussi indigne, stigmatisante et discriminatoire, dénuée de sens et d’intérêts pour les assurés en particulier les plus pauvres, les éternels perdants.
Ghislain Haicault de la Regontais
Adhérent FMF de base