L’année 2020 a été celle du début de la crise sanitaire où les français applaudissaient tous les soirs à 20h leurs soignants mais aussi celle où le gouvernement promulguait à l’automne des Décrets particulièrement vexatoires et humiliants pour ces mêmes soignants, leurs Ordres respectifs, et leurs représentants au sein des instances conventionnelles !
Aussi, la Cellule Juridique de la FMF propose de commenter deux Décrets publiés au JO en octobre et novembre 2020 :
1) Le Décret n° 2020-1215 du 2 octobre 2020 relatif à la procédure applicable aux refus de soins discriminatoires et aux dépassements d’honoraires abusifs ou illégaux :
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042393603
Il s’agissait d’une revendication de longue date de diverses associations qui stigmatise l’ensemble de la profession à cause de quelques déviants et instaure une procédure parallèle aux classiques procédures ordinale et conventionnelle : “claque“ aux Ordres et partenaires conventionnels qui seraient incompétents ou inefficaces pour justifier ce nouveau texte. Viennent s’inviter aux débats les associations et l’Assurance Maladie, sorte de « SAS1bis » des refus discriminatoires et compléments d’honoraires jugés “abusifs“. La seule nouveauté étant la tentative de quantification du “tact et mesure“ avec la définition de critères précis. Au passage l’Assurance Maladie délaisse la voie conventionnelle au profit de la voie réglementaire en donnant toujours plus de pouvoirs aux directeurs de CPAM !
Une convention se doit d’être équilibrée entre les parties sur le plan des droits et des devoirs, et les procédures conventionnelles étaient là pour cela.
Le Décret instaure donc une commission “paritaire“ associant 2 représentants de la CPAM et 2 représentants des Ordres professionnels (médecins, chirurgiens dentistes, IDE…) qui peut être saisie par un usager et/ou une association. Les demandes peuvent être reçues par les Ordres professionnels (comme auparavant) et nouveauté par l’Assurance Maladie.
La commission adresse un AR aux parties en cause sous 8 jours et à l’autorité récipiendaire (Ordre ou CPAM) qui a la possibilité de convoquer le professionnel mis en cause sous 1 mois ; dans ce cas un PV est rédigé et transmis à la commission qui organise une conciliation dans les 3 mois suivants le dépôt de plainte.
Les parties peuvent se faire assister ou représenter. Ainsi, « La commission peut faire appel à toute personne qualifiée ou tout expert extérieur, issu notamment du service du contrôle médical (sic), pour éclairer ses travaux, sans que cette personne ou cet expert puisse directement prendre part à la conciliation. »
Commentaire : et pourquoi pas un expert de la déontologie, élu Ordinal ou Syndical ?
A l’issue, s’il y a effectivement conciliation entre les parties (le plaignant et le professionnel de santé), la procédure s’arrête ; s’il n’y a pas de conciliation ou si l’une des parties ne s’est pas présentée, un PV de non conciliation est rédigé faisant apparaître notamment les points de désaccord, le PV est alors transmis sous 8 jours aux parties, à la CPAM et à l’Ordre.
« Art. R. 1110-13. En cas de non-conciliation, le président du conseil de l’ordre au tableau duquel le professionnel de santé est inscrit transmet un avis motivé sur la plainte à la Chambre Disciplinaire de Première Instance (CDPI) de la juridiction ordinale compétente, en s’y associant le cas échéant. Cette transmission est accompagnée de la plainte et de toutes les pièces de la procédure de conciliation. Elle est effectuée dans un délai maximal de trois mois à compter de la séance de conciliation… Le président du conseil de l’ordre informe le directeur de l’organisme local d’assurance maladie de cette transmission, et ultérieurement, de la décision rendue par la juridiction ordinale… »
Commentaire : le législateur ignore apparemment que le Président de l’Ordre et son bureau ne sont que le prolongement du conseil qui est seul compétent pour décider et saisir la CDPI, éventuellement en s’y associant, après discussion et vote !
« Art. R. 1110-14. La condition de récidive mentionnée à l’article L. 1110-3, faisant obstacle à la mise en œuvre de la procédure de conciliation prévue par ces mêmes dispositions, ainsi que de celle prévue à l’article L. 4123-2, est remplie lorsque le professionnel de santé mis en cause a déjà fait l’objet dans les six ans précédant la réception de la plainte d’une sanction définitive pour refus de soins discriminatoire, prononcée par une juridiction ordinale ou par le directeur d’un organisme local d’assurance maladie.
« Dans ce cas, la plainte est transmise sans délai à celle des deux autorités mentionnées au premier alinéa de l’article R. 1110-11 qui n’en a pas été destinataire. Elle est également transmise, dans un délai maximal de trois mois à compter de sa réception, à la juridiction ordinale compétente par le président du conseil de l’ordre au tableau duquel le professionnel mis en cause est inscrit, avec son avis motivé et en s’y associant le cas échéant. Le président du conseil de l’ordre concerné informe le directeur de l’organisme local d’assurance maladie de cette transmission et ultérieurement, de la décision rendue par la juridiction ordinale… »
Commentaire : En cas de récidive dans les 6 ans, pas de commission de conciliation c’est direct case CDPI et sanctions ! Et idem que pour l’art R. 1110-13, le président du Conseil de l’Ordre n’a pas le pouvoir de transmettre directement, c’est le conseil qui décide !
« Art. R. 1110-15. En cas de méconnaissance, imputable à l’ordre professionnel concerné, du délai de trois mois imparti par l’article R. 1110-11 pour mettre en œuvre la procédure de conciliation, ou de celui prévu à l’article R. 1110-13 pour la saisine de la juridiction disciplinaire à la suite d’une non-conciliation, le directeur de l’organisme local d’assurance maladie engage la procédure de sanction prévue à l’article L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale, selon les modalités fixées à l’article R. 147-14 du même code.
« En cas de sanction prononcée à l’encontre du professionnel de santé mis en cause, le directeur de l’organisme local d’assurance maladie en informe le président du conseil de l’ordre au tableau duquel le professionnel est inscrit… »
Commentaire : Le législateur a même prévu la “défaillance“ de l’Ordre ou son manque de célérité. Et là aussi tous les pouvoirs sont cédés aux directeurs de CPAM, l’Ordre mis sous tutelle en quelques sortes !
Parlons sanctions :
« Art. R. 147-13. Peut faire l’objet des sanctions prévues par la présente section, en application de l’article L. 162-1-14-1, tout professionnel de santé qui :
« 1° Oppose un refus de soins discriminatoire tel que défini aux articles L. 1110-3 et R. 1110-8 du code de la santé publique ;
« 2° Pratique des dépassements d’honoraires excédant le tact et la mesure. Le respect du tact et de la mesure s’apprécie notamment, dans le cadre du présent article, au regard de la prise en compte dans la fixation des honoraires de la complexité de l’acte réalisé et du temps consacré, du service rendu au patient, de la notoriété du praticien, du pourcentage d’actes avec dépassement ou du montant moyen de dépassement pratiqués, pour une activité comparable, par les professionnels de santé exerçant dans le même département ou dans la même région administrative ;
« 3° Pratique des dépassements d’honoraires non conformes à la convention dont relève ce professionnel, au I de l’article L. 162-5-13, au dernier alinéa de l’article L. 162-9 ou aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 165-6. »
Commentaire : Tentative de qualification du “tact et mesure“ : « …au regard de la prise en compte dans la fixation des honoraires de la complexité de l’acte réalisé et du temps consacré, du service rendu au patient, de la notoriété du praticien, du pourcentage d’actes avec dépassement ou du montant moyen de dépassement pratiqués, pour une activité comparable, par les professionnels de santé exerçant dans le même département ou dans la même région administrative… » Définition “Ségurienne“ à la manière de l’OPTAM2 tenant compte du lieu d’installation. Sauf qu’il s’agit de juger de dépassements qualifiés “d’abusifs“, c’est-à-dire au delà du dépassement moyen local !
« Art. R. 147-15.
I. Les pratiques mentionnées à l’article R. 147-13 peuvent faire l’objet de pénalités financières :
« 1° D’un montant maximum égal à deux fois le plafond mensuel de sécurité sociale pour les faits relevant du 1° de cet article ;
« 2° Égales à deux fois le montant des dépassements facturés pour les faits relevant du 2° et du 3° de ce même article.
« II. En cas de récidive dans un délai de six ans à compter de la notification d’une précédente sanction pour les mêmes faits devenue définitive, pour les pratiques mentionnées au 1° de l’article R. 147-13, et de trois ans, pour les pratiques mentionnées aux 2° et 3° du même article, le professionnel peut en outre faire l’objet des sanctions suivantes :
« 1° Le retrait du droit à dépassement pour une durée maximum de trois ans, pour les professionnels autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires ;
« 2° La suspension de la participation au financement des cotisations sociales telle que prévue au 5° de l’article L. 162-14-1 et à l’article L. 645-3 pour une durée maximum de trois ans.
« Les durées maximales mentionnées aux 1° et 2° sont portées à six ans en cas de nouvelle récidive durant la période d’application de ces sanctions… »
Commentaire : selon les faits reprochés les pénalités financières seront au maximum de 6 856€ (2 x le plafond mensuel de la sécurité sociale pour 2021) ou 2 fois le montant des dépassements facturés, le texte ne précisant pas sur quelle durée les dépassements sont examinés !
Le directeur de la CPAM peut également demander la publication des faits et sanctions aux frais du professionnel incriminé.
2) Le décret n° 2020-1465 du 27/11/2020 relatif à la procédure de déconventionnement en urgence des professionnels de santé libéraux et modifiant les dispositions relatives aux unions régionales des professionnels de santé
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/texte_jo/JORFTEXT000042577007
Ce Décret a déjà été commenté sur le site de la FMF :
Le 11 décembre 2020 :
/?p=2152
Le 14 janvier 2021 :
/?p=2198
Son article 1 permet le déconventionnement en urgence d’un médecin à l’initiative d’un directeur de CPAM. Nous constatons que la convention médicale est de plus en plus déséquilibrée priorisant la voie réglementaire à la voie conventionnelle et ces décrets en rajoutent encore une couche !
Commentaire : Il existe en effet de déjà de nombreux textes réglementant l’activité en donnant les pleins pouvoirs aux directeurs de CPAM.
➢ L’article L315 du Code de la Sécurité Sociale (CSS) le contrôle d’activité qui permet in fine au directeur d’une CPAM de demander des sanctions pénales, disciplinaires et financières, y compris associées,
➢ L’article L162-1-15 du CSS qui permet au directeur d’une CPAM la MSAP (Mise Sous Accord Préalable) d’un médecin sur l’ensemble de ses prescriptions
➢ L’article L114-17-1 du CSS (remplaçant le L162-1-14) qui permet au directeur d’une CPAM d’infliger à un médecin une pénalité d’un montant maximum de 50% d’un indu supposé,
➢ A propos de ces indus je précise qu’il peut s’agir de rémunérations perçues par le professionnel, mais aussi de n’importe quelle prescription c’est-à-dire de sommes que le professionnel n’a pas reçues mais qui ont bénéficié à un patient.
En cas de nécessité estimée absolue un médecin pouvait déjà être suspendu en urgence par le DG de l’ARS selon l’art L4113-14 du code de la santé publique (et nous avons pu l’observer récemment sur la région Auvergne Rhône-Alpes pour un médecin opposé au port du masque)
Il n’y avait donc aucune nécessité à un nouveau texte permettant de déconventionner en urgence et en dehors de la voie conventionnelle un médecin, d’autant qu’à l’expérience l’assurance maladie laisse souvent filer des prescriptions inadaptées pendant des mois voire des années !
Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Lyon 3è, CELLULE JURIDIQUE FMF
1 SAS : Section des Affaires Sociales
2 OPTAM : Option Pratique TArifaire Maîtrisée