Sortez-moi de cet enfer !

C’est l’appel au secours d’un de nos adhérents :

Lundi 09h, mon planning est plein, les créneaux d’urgence sont déjà pris et j’ai encore 6 demandes pour « burn out/ zona infecté/ nourrisson fébrile… », et le problème est qu’un arrêt de travail ou un certificat enfant malade ça se fait LE JOUR MÊME , générant des urgences administratives.

Cette nuit je régule (20h 08h : ca veut dire qu’à partir de 20 h j’aurai des dizaines de demandes comme celles-là dont peut être même des patients à moi…)

Il décrit son quotidien, dans un département (très) proche de Paris mais très désertifié. Et le souci n’est pas la charge de travail médical pur, qu’on pourrait gérer, mais la charge de travail administratif, qui se rajoute à des journées déjà trop longues, et rajoute encore de la « charge mentale », pour employer une notion à la mode.

Et pourquoi ? Parce qu’en France, on n’est pas capable de faire confiance aux gens. 

Deux exemples particulièrement parlants : les arrêts de travail courts et les enfants malades. Il y a beaucoup de situations qui ne nécessitent pas forcément une consultation ni un traitement compliqué, quelques jours de repos et un traitement symptomatique suffisent (même si le Covid a un peu brouillé les choses avec l’injonction de consulter au moindre doute).

Mais voilà, contrairement à ce qui se passe chez nos voisins, il est interdit en France de ne pas se présenter au travail pour maladie sans un arrêt de travail en bonne et due forme. Et un arrêt de travail ne peut pas être antidaté (oui je sais, sur EspacePro on peut … mais ça ne reste qu’une tolérance, et chaque année des plaintes sont déposées par des employeurs contre des médecins pour ce motif).

De même, et c’est là une disposition méconnue, en France tout salarié devant s’occuper d’un de ses enfants malade de moins de 16 ans a droit à 3 à 5 jours d’absence (non indemnisés) par an pour s’en occuper, sans que son employeur puisse s’y opposer. Mais il faut pour ça le sacro-saint certificat médical qui l’authentifie !

Et pourtant la crise Covid a montré qu’il est possible de faire autrement ! Il suffit de s’autodéclarer sur declare.ameli.fr pour bénéficier d’un arrêt de travail ou d’un congé enfant malade (indemnisés sans carence !), et même rétroactif ! Pourquoi ce dispositif ne peut-il pas être généralisé aux arrêts courts, qui de toute façon ne sont pas indemnisés ? 

A ceci s’ajoute l’amour (il n’y a pas d’autre mot) de la France pour le sésame médical pour tout et n’importe quoi : nécessité de certificat médical pour le permis de chasse, pour entrer en crèche (mais quelle contre-indication peut-il exister ? toute notre vie nous vivons en collectivité !), pour passer le permis bateau, pour jouer à la pétanque, pour entrer en IFSI, pour ne pas payer la crèche ou la cantine en cas d’absence … et même pour plein de situations sans aucune justification légale ! Je rappelle cette circulaire de 2011 (!!) qui liste les cas de certificats utiles ou obligatoires même s’il est très difficile de la faire respecter. Régulièrement je rappelle aux directeurs d’écoles ou de lycée que la première circulaire abolissant le certificat médical en cas d’absence remonte à 1977 ! et aux directeurs de crèche que le retour après maladie ou l’administration de traitements ne demandent aucun certificat médical. Et donc c’est épuisant aussi. Et tout ça parce que la confiance n’existe pas  !

Tout ça ce n’est PAS de la médecine. Ce n’est PAS du soin. C’est de l’administration.

Alors on nous balance les solutions miraculeuses :

  1. la délégation de tâches 
  2. la télémédecine
  3. les assistants médicaux

Sauf que ce sont d’excellents outils, ou du moins ils pourraient l’être, mais pas tels qu’on nous les vend :

  • la délégation de tâches : OK pour déléguer de l’administratif. Mais en pratique ce n’est jamais ça, parce qu’il faut un MÉDECIN pour faire un certificat médical. Au lieu de ça on propose aux kinésithérapeutes de prendre en charge les entorses (mais qui fera l’arrêt de travail ou la dispense de sport ?), aux pharmaciens les cystites et les angines, et même, dernières propositions totalement saugrenue du Président Macron, de faire faire les renouvellements d’ordonnance par les pharmaciens, sans biologie, sans avis de spécialiste, sans imagerie, sans examen. C’est là une incompréhension totale de notre travail. Non nous ne sommes pas des photocopieurs. A la limite on pourrait imaginer confier la rédaction des certificats de décès aux infirmiers qui ont suivi les patients (et les connaissent bien mieux que le médecin de garde !) mais ça personne n’ose même l’évoquer.
  • la télémédecine : la télémédecine ne prend pas moins de temps que la médecine présentielle, sauf si elle dérive vers ce qu’on voit actuellement : une médecine de réponse ponctuelle à une demande simple (et unique), raflée par les sociétés commerciales, avec le réflexe un symptôme -> un traitement, et si besoin « revoyez votre médecin si ça ne va pas ». Sans besoin de locaux, de matériel, de personnel, de ménage. Sans prises en charge complexes ni demandes multiples. Et sans aucune de ces demandes multiples de certificats médicaux inutiles mais pourtant réglementairement nécessaires.
  • les assistants : oui c’est une idée. Ils peuvent nous décharger d’une (petite) partie de l’administratif. Mais pas de tout ce qui nécessite une intervention médicale stricte. Surtout que le périmètre de leurs compétences, au fur et à mesure des négociations pour mettre en place le futur certificat de qualification professionnelle, semble très nettement se réduire à des gestes strictement NON médicaux. Et de plus la plupart des médecins ont DÉJÀ une secrétaire, ou un télésecrétariat.

Au contraire, au fur et à mesure que les médecins libéraux, et en particulier les généralistes, ont de plus en plus la tête sous l’eau, on voit surgir très régulièrement et de plus en plus souvent des propositions de coercition à l’installation, d’obligations diverses, de 4ème année d’internat de médecine générale comme « bouche-trou de luxe » dans les zones sous-dotées (qui rappelons-le ne concernent pas que le fin fond de la France rurale, mais toute l’Île-de-France et une très grosse moitié du reste du territoire français !). Ce qui rend inopérante la dernière solution miracle : « prenez des étudiants pour qu’ils voient comme c’est bien la médecine libérale et qu’ils aient envie de s’installer ». Parce quand ils voient nos conditions de travail actuelles, et aussi les difficultés majeures d’accès aux spécialistes ou aux examens d’imagerie dans les zones sous-dotées, ils n’ont qu’une envie : fuir le libéral. Et on ne peut que les comprendre. Tout ne se résume pas qu’à des incitations financières, qui d’ailleurs ne sont pas mises sur le tapis puisque tout le monde semble d’accord pour refuser aux médecins libéraux une revalorisation de leurs honoraires qui n’entraîne pas dans le même temps une surcomplexification de leur gestion.

En 2018, nous avions déjà abordé cette problématique à l’occasion d’une interview du premier ministre d’alors Edouard Philippe qui disait « vouloir supprimer les consultations inutiles pour redonner du temps aux médecins ». 

Les propositions que nous avions faites à l’époque sont toujours d’actualité, toujours les mêmes, et toujours pas suivies du moindre début de mise en place, bien au contraire : il s’agissait de supprimer :

  • les consultations pour remplir les dossiers d’assurances
  • les consultations MDPH (révisées pour un oui ou pour un non)
  • les consultations APA (du ressort des services des Conseils Départementaux)
  • les consultations de non contre-indication à la danse de salon, pétanque, fitness, gymnastique volontaire, voyage scolaire, et tous les autres « certifalacon »
  • les consultations motivées par le fait que les patients, qui ont soigné tout seuls leur gastro-entérite ou leur syndrome grippal, ont besoin de notre aval pour un arrêt de travail de un, deux ou trois jours. Dans de nombreux pays les arrêts courts ne nécessitent pas la signature du médecin.
  • ou de même les consultations motivées uniquement par la nécessité pour les parents d’obtenir un certificat médical pour une « journée enfant malade » pour leur employeur parce qu’ils ont gardé leur enfant chez eux le temps qu’il se remette d’une affection bénigne, ou même par les exigences de certains chefs d’établissement qui exigent un certificat médical en cas d’absence scolaire, au mépris de la réglementation. 

… mais absolument pas de toucher à notre cœur de métier, la médecine, le soin, et la relation avec les patients.

C’est la dernière ligne droite avant les élections présidentielles, qui seront suivies des législatives.

Alors mettons-nous à rêver : « Mesdames et Messieurs les politiques, SORTEZ-NOUS DE CET ENFER ! »