Après le gag de la consultation des syndicats de médecins libéraux sur un texte qu’ils n’avaient pas reçu (et la Commission des Affaires Sociales non plus d’ailleurs !), ce qui n’a pas empêché nos représentants d’exprimer leurs remarques et propositions sur le financement de la sécurité sociale en général, nous avons pu enfin nous procurer le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) 2021 pour l’analyser.
Nous ne l’avons d’ailleurs pas eu par la voie « officielle », le seul document proposé par le Ministère de la Santé étant le dossier de presse, qui a certes l’avantage de proposer un texte déjà analysé, mais l’inconvénient d’être orienté selon les vues institutionnelles.
Analyse du texte
Notons déjà qu’une (très) grosse partie du PFLSS ne concerne pas directement les médecins libéraux, mais plutôt les aspects techniques du financement proprement dit, l’approbation des comptes 2019, les moyens de financer les primes et augmentations prévues pour les salariés des hôpitaux et du secteur médico-social par le Ségur de la Santé.
Article 3
Il ne concerne pas directement les médecins, mais crée une contribution exceptionnelle de 2,6% des cotisations perçues par les organismes d’assurance maladie complémentaire (AMC, mais plus souvent appelés « mutuelles »), destinée à compenser les économies qu’ils ont réalisées du fait de la prise en charge intégrale par l’Assurance Maladie Obligatoire des téléconsultations, des PCV (consultation complexe de déconfinement), des tests PCR … Ces économies sont estimées à 2,2 millards d’euros. Ce qui n’empêche pas les mutuelles de contester le bien-fondé de cette contribution.
Article 27
Une partie de la dette des établissements hospitaliers est transférée de la Caisse d’amortissement de la dette sociale à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
Vous remarquerez qu’en techno-langage, « effacement de la dette » se dit pudiquement « refinancement » … pour un montant tout de même non négligeable !
Le Ségur de la santé réaffirme un programme inédit de refinancement de la dette des hôpitaux afin d’améliorer leur situation financière et de leur redonner rapidement les moyens d’investir. Cet effort représente un montant d’environ 13 Md€.
Article 28
Il s’agit d’un « fourre-tout » concernant diverses mesures de financement des établissements de santé, et plus particulier des urgences. Il réforme le ticket modérateur restant en charge des assurés consultant aux urgences.
La participation de l’assuré aux frais occasionnés par son passage non programmé dans une structure des urgences autorisée est fixée à un montant forfaitaire défini par arrêté pris après avis de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et de l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire. […]. Cette participation est due pour chaque passage aux urgences dès lors que ce passage n’est pas suivi d’une hospitalisation en service de médecine, de chirurgie, d’obstétrique ou d’odontologie au sein de l’établissement.
Le ticket modérateur existait déjà auparavant (30% des soins hors régime Alsace-Moselle ou certains régimes particuliers), la nouveauté étant qu’il sera désormais forfaitaire.
Deux interrogations cependant :
- Il n’y a nulle part dans le texte d’indice sur le montant de ce forfait qui sera défini par arrêté ;
- La mention de consultation non suivie d’hospitalisation stigmatise inutilement les patients, laissant entendre que ce n’était pas forcément justifié. Le recours au plateau technique des urgences est pourtant souvent le seul moyen par exemple d’éliminer (ou de confirmer) un diagnostic de grossesse extra-utérine ou d’AIT, ou de soigner une crise d’asthme grave par nébulisation de ß2mimétiques à haute concentration.
Article 30
Extension de l’expérimentation des maisons de naissances
Les maisons de naissance sont des structures autonomes de suivi médical des grossesses physiologiques, de l’accouchement et de ses suites, sous la responsabilité exclusive des sages- femmes qui ont vu le jour à titre expérimental en 2015. Elles s’adressent aux femmes sans antécédents ni comorbidités particuliers, désireuses d’une prise en charge globale de leur accompagnement, d’un accouchement physiologique sécurisé et de soins du post-partum réalisés au domicile, à leur retour quelques heures après la naissance. La femme et son entourage bénéficient ainsi d’un suivi personnalisé par une ou deux sages-femmes depuis le début de la grossesse […]. Compte tenu de la moindre médicalisation dans ces structures (pas de personnel médical autre que les sages-femmes, pas de plateau technique) le coût global de prise en charge d’un accouchement est inférieur à celui réalisé en maternité de niveau 1.
Eu égard aux résultats positifs atteints par les 8 structures implantées dans 6 régions (Ile de France, Occitanie, Auvergne- Rhône Alpes, Grand Est, Guadeloupe, La Réunion) et qui ont fait l’objet d’un rapport au Parlement cet été, il convient de les pérenniser et de développer cette offre qui répond aux attentes d’une partie de la population. […]
Les maisons de naissance sont une expérimentation qui peut être intéressante et qu’il convient de suivre, pouvant correspondre au souhait de certaines familles.
Il est toutefois dommage que le critère principal pour le gouvernement soit l’économie financière réalisée, et que nulle part ne soit mentionnée la qualité des soins dispensés, dont il serait intéressant de savoir si elle a été évaluée, et si elle est supérieure, égale ou inféreure à celle des soins d’une maternité.
Article 31
Pour les mêmes raisons financières que pour les maisons de naissances, seront créés des dispositifs d’hébergement non médicalisé en amont ou en aval d’un séjour hospitalier ou d’une séance de soins pour des patients ne nécessitant pas d’hébergement hospitalier pour leurs prises en charge.
En bref des « hôtels hospitaliers » ; dont il conviendra aussi d’évaluer l’efficience et le service rendu.
Article 32
Prise en charge intégrale par l’assurance maladie obligatoire des téléconsultations
Jusqu’au 31 décembre 2022, la participation de l’assuré mentionnée au premier alinéa de l’article L. 160-13 du code de la sécurité sociale est supprimée pour les frais liés aux actes réalisés en téléconsultation.
En pratique cela signifie tout bêtement la prolongation de deux ans de la mesure dérogatoire de prise en charge à 100% des téléconsultations par l’application de l’EXO 3 (Soins particuliers exonérés).
C’est assurément une bonne mesure pour pérenniser l’essort des téléconsultations.
Mais c’est aussi :
- un cadeau aux régimes d’assurance maladie complémentaire ;
- une anomalie de prise en charge : pourquoi les téléconsultations, mais pas les autres actes de premier recours que sont les consultations présentielles ou les visites ?
- un risque de passer outre, sous la pression des plateformes commerciales, les limites de prise en charge fixées par les avenants 6 et 8 et sensées les limiter au parcours de soins tel qu’il est défini dans la convention.
Article 33
Report de la convention médicale
Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale, la convention nationale prévue à l’article L. 162-5 régissant les rapports entre l’assurance maladie et les médecins conclue le 25 août 2016 et approuvée le 20 octobre 2016 prendra fin le 31 mars 2023.
Un des articles les plus à même de fâcher les libéraux, puisqu’il prolonge la convention de 2 ans (!!) sans du tout évoquer de revalorisation tarifaire. Nos tarifs seraient donc bloqués pour 7 ans au total !
Et pour quelle raison officielle ?
[…] les textes organisant la vie conventionnelle prévoient un lancement du processus de négociation dès janvier 2021, soit trois mois avant les élections qui doivent conduire à revoir la représentativité des différents syndicats signataires. Il convient donc de proroger la convention actuelle afin de permettre que la négociation de la prochaine convention médicale puisse se dérouler à l’issue de ce processus électoral.
Cette raison peut s’entendre. Mais les élections URPS doivent avoir lieu au printemps 2021. Pourquoi prolonger la convention d’encore deux ans supplémentaires ?
A moins que la raison officieuse soit plutôt de ne conduire les négociations conventionnelles qu’après les élections présidentielles et législatives de 2022 ?
Article 34
Le dépeçage de la médecine continue ! Face au manque de médecins du travail dans le monde agricole, les infirmiers de la MSA dans 4 territoires (à titre expérimental) vont prendre en charge les salariés agricoles à surveillance renforcée ou en reprise après congé maternité !
Article 35
Il prolonge la durée du congé paternité à 25 jours consécutifs ( 32 jours en cas de naissance multiple) et le rend obligatoire pour les 7 premiers.
C’est assurément une bonne mesure de santé publique, mais qui risque de poser problème aux employeurs (dont les médecins font partie). Même si le coût du congé paternité est supporté par l’assurance maladie, une absence prolongée peut fragiliser une entreprise.
Article 36
Adaptation du dispositif de prise en charge exceptionnelle par l’assurance maladie en cas de risque sanitaire grave
La crise COVID a montré l’utilité de la possibilité de prendre rapidement des mesures dérogatoires en cas de crise sanitaire.
Cette possibilité est renforcée et prolongée.
Il faudra cependant rester très attentif à son contenu, qui peut être bénéfique pour les médecins (prises en charge EXO 3, suspension des duplicatas papier des dégradés, cotations exceptionnelles, etc …) ou délétère (interrogation sur ContactCovid et le secret professionnel, fermeture de l’activité des établissements, baisse de l’activité des cabinets médicaux) et qui là reste très flou.
Article 42
Modernisation du financement des syndicats représentatifs des professionnels de santé libéraux
Un article fondamental pour les syndicats représentatifs, mais à faire préciser impérativement, car sa rédaction alambiquée permet plusieurs interprétations.
Le financement actuel est fait par les fonds conventionnels, qui sont versés aux syndicats SIGNATAIRES de la convention au prorata de leurs résultats aux éléctions URPS, pour financer des actions de formation des cadres, et donc via un organisme de formation médicale.
Ce financement serait maintenu, et complété par une fraction de la cotisation versée via l’URSSAF pour le fonctionnement des URPS, la CURPS.
Ce qui laisse en suspens de nombreuses questions :
- Ce financement sera-t-il comme actuellement versé sous condition d’adhésion des syndicats à la convention ? si oui totalement ? ou seulement pour la part représentée par les foncds conventionnels actuels ?
- Quelle fraction de la CURPS sera-t-elle prélevée pour les syndicats ?
- Que devient le budget des URPS si on l’ampute d’une fraction de son montant ?
- Ou bien s’agit-il d’une cotisation SUPPLEMENTAIRE dont les médecins libéraux devront s’aquitter ?
- Que devient l’obligation de versement via un organisme de formation si ce financement n’est plus lié à des actions de formation ?
Tous points qu’il convient de préciser avant que nous nous prononcions sur cet article, même si le principe nous satisfait, car le financement des syndicats est un point crucial, et l’obligation de signature conventionnelle pour en bénéficier une incongruité.
Article 43
Limitation des mesures de contentions et d’isolement des patients
Ce qui ne concerne pas que les établissements psychiatriques : les barrières de lit ou les ceintures de contention dans les fauteuils roulant rentrent dans le cadre de la contention.
Ce que nous aurions aimé trouver
Le PLFSS 2021 ne concerne finalement que très peu les médecins.
Le plus intéressant est ce qui ne s’y trouve pas.
La révision de l’article 84 de la LFSS 2016
Cet article, pour rappel, est celui qui donne aux médecins conventionnés secteur I le fabuleux privilège de payer une surcotisation de 3,25% sur leur cotisation assurance maladie en sus de la cotisation normale de 6,50% pour leur activité non conventionnée.
L’intégration de l’AVAT à la protection sociale des médecins
Les médecins libéraux ne sont pas systématiquement couverts pour le risque accident du travail et l’ont pour la plupart découvert au moment de la crise COVID.
La FMF réclame l’intégration de cette couverture AT depuis toujours.
La fin de l’injustice concernant les Indemnités Journalières
La FMF soutient la proposition de la CARMF de ramener à 3 jours en accident, et 15 jours en maladie (au lieu de 90) le délai de carence pour les arrêts maladie des médecins libéraux, en amorce d’alignement avec le droit commun.
Et réclame également la non-imposabilité des IJ liées aux maladies de longue durée, comme pour les salariés.
L’abrogation de l’article 99 de la LFSS 2017
Pour rappel cet article permet au directeur de l’UNCAM de se passer de l’avis des syndicats signataires de la Convention et d’imposer des tarifications, voire des baisses de tarifications, ce qui est la négation même de la notion de négociations conventionnelles.
Des revalorisations tarifaires
L’article 33 du PFLSS prolonge de 2 ans la Convention. De facto il bloque nos honoraires 2 ans de plus. Ce qui est tout simplement inacceptable.
Une prolongation des dérogations tarifaires COVID.
La COVID ne va pas disparaître d’elle-même en quelques semaines. La prolongation à la petite semaine de la cotation VGS+MD+MU en EHPAD mériterait, comme l’EXO3 des téléconsultations, une prolongation de 2 ans. Et les téléconsultations le retour de la possibilité de les faire par téléphone.
Voire même une pérennisation, et une extension à toutes les visites à domicile.
Il serait de même logique que tous les actes de premier recours puissent si besoin se faire en tiers payant avec payeur unique par l’AMO.
La détermination du statut de la compensation des charges en raison de la baisse d’activité
La CNAM a compensé partiellement les charges des libéraux au printemps en raison de la baisse d’activité liée à la crise COVID.
A ce jour on ne sait pas quel est le statut comptable de cette aide : gains conventionnés ? gain non conventionnés ? ou aide défiscalisée ?
M. Revel nous avait promis une réponse dans le PLFSS … elle n’y figure pas.
La FMF réclame l’équité : que cette aide soit comptabilisée comme une subvention d’exercice à l’instar du Fond National de Solidarité, et donc non imposable et non soumis aux prélèvements sociaux.
Le congé paternité
Le congé paternité est prolongé de 14 jours pour les salariés. Donc nous l’espérons pour les médecins aussi.
Mais rien n’est précisé quant à son indemnisation. Ni sur le caractère obligatoire d’un arrêt d’activité pour un libéral
Actuellement elle est de 55,51€ par jour d’arrêt effectif plus une indemnité forfaitaire de 1116€ mise en place avec l’avenant 3 et l’avantage supplémentaire maternité.
Le propre d’une indemnisation forfaitaire est d’être … forfaitaire.
Nous aimerions avoir la certitude que les IJ seront bien payées à concurrence de 25 jours et que le forfait ASM sera revalorisé.
Conclusion :
Le Ségur de la Santé a été le Ségur de l’hôpital.
Le PLFSS 2021 est le PLFSS du Ségur.
Les libéraux en sont les grands oubliés.
Mais tout n’est pas perdu ! La Commission des Affaires Sociales si désireuse de nous auditionner avant même que le texte soit connu aura forcément à cœur de tenir compte de nos remarques. En tout cas nous y serons attentifs.