Chers amis,
Je vous préviens, ce Point Hebdo va être un peu indigeste. Si vous avez le moral aussi bas que le ciel qui nous balance sa pluie inlassable, passez votre tour, c’est plus raisonnable.
Allez, on expédie déjà le sujet du jour : le rejet du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) par l’Assemblée Nationale, qui a provoqué le magique, devenu fatal, Art. 49-3 par le gouvernement, lequel a conduit à la fameuse motion de censure. Entre temps ce PLFSS était passé par le Sénat qui en avait retiré la possibilité de baisser unilatéralement les tarifs de biologie et radiologie en l’absence d’accord professionnel, puis par la Commission Mixte Paritaire qui avait réintégré l’article, pour revenir à l’Assemblée Nationale qui a donc tout rejeté en bloc, plus pour raison politique que de désaccord sur le Projet de Loi. Nous voilà donc sans Loi de Finance, ce qui ne change rien pour notre exercice actuel.
Mais nos chers députés, qui ont apparemment décidé de tout détruire, n’en sont pas restés là. Ils ont réussi à s’entendre également (237 députés, menés par Guillaume Garot), pour déposer le 3 décembre un Projet de Loi trans-partisane pour soi-disant « lutter contre les inégalités d’accès aux soins ». Qu’y trouvons-nous ? Tout pour décourager un médecin de s’installer en ville :
- Interdiction de s’installer hors zone très sous-dotée en médecins, sauf pour compenser un départ (Art.1)
- Interdiction de remplacer au-delà de 4 ans (Art.3)
- Interdiction de pratiquer en Secteur 2 (Art.6)
- Obligation de faire des gardes de nuit (Art.14)
Et après le Directeur de la Caisse Thomas Fatôme nous demande de présenter la profession aux jeunes médecins sous un beau jour : tu vas t’installer en zone difficile, aux tarifs les plus bas malgré tes titres, tu vas travailler jour et nuit, et sans possibilité de te faire remplacer. Difficile à vendre quand même ! Et je ne parle pas de certaines spécialités comme la chirurgie pour qui c’est juste irréalisable vu qu’il n’y a quasiment pas d’établissements en zones sous-dotées et qu’exercer en secteur 1 revient à opérer à prix coûtant.
Et pourtant, ils ont bien compris que les tarifs conventionnels ne permettaient pas de travailler correctement, puisque l’Art.13 recommande d’installer des Centres de santé dans les zones sous-dotées, avec financement public. Mais pas de financement pour les libéraux, qui ont pourtant montré leur haute rentabilité. Même la N°2 de la CNAM, Marguerite Cazeneuve, l’a reconnu devant l’assemblée des Maires de France : c’est bien de créer des Centres de Santé, a-t-elle dit, mais c’est mieux de favoriser l’installation de généralistes (sic, les médecins en Centres ne seraient ils pas généralistes ?) car ils voient beaucoup plus de patients.
Petit point positif néanmoins, ce Projet de Loi suggère (Art.16) la suppression des certificats « enfants malades » et des certificats d’arrêts de travail <3 jours et <9 jours par an.
Pour ne pas être en reste, les sénateurs s’y sont mis aussi, dans un rapport paru le 13 novembre sur les inégalités territoriales d’accès aux soins. On y retrouve de même l’interdiction de s’installer dans les zones, eux n’osent pas dire « surdotées » mais « à densité satisfaisante », sauf départ concomitant ou exercice parallèle en cabinet secondaire en zone déficitaire (ou comment déshabiller Pierre pour habiller Paul). Et l’indéfectible « transfert de compétences » aux kinés, infirmiers, sage-femme : « Tiens, je suis médecin, je te donne mes compétences ». Mais comment leur expliquer que des compétences ça s’acquiert, ça ne se transfère pas ?!! On peut transférer des tâches, oui, mais pas des compétences.
Ils veulent aussi limiter les téléconsultations aux seuls médecins traitants ou après régulation. Certes dans le but louable de limiter les téléconsultations de confort des plates-formes commerciales, mais en éliminant de fait toute possibilité de suivi par des spécialistes. Pourtant la FMF avait bien insisté sur ce point lors de l’audition préalable au PLFSS, en demandant l’extension du droit de prescrire des arrêts de travail en ligne pour tout médecin qui suit régulièrement son patient. Vous avez un violon pour pisser dedans ?
Enfin, ils demandent la possibilité d’embauche mutualisée d’assistants dans les Maisons de santé Pluridisciplinaires (MSP), ce qui est déjà à l’étude dans la Convention mais pose des problèmes techniques.
Nous avons vu la partie institutionnelle. Passons maintenant aux dangers de la commercialisation de la médecine. Après avoir fait cohabiter sur son site n’importe quel patathérapeute avec les médecins (août 2022), après avoir laissé filer les coordonnées de ses clients (piratage en 2020), après avoir incité les patients à notifier les avis négatifs sur leurs médecins (un comble, les médecins payent la plate-forme pour que leurs patients les dénigrent !), voici que la célèbre société de RDV en ligne et maintenant de logiciel médical Doctolib lance une nouvelle initiative. Lasse de ne pouvoir obtenir l’accord de l’Assurance-Maladie pour interconnecter les données des Dossiers Médicaux Partagés (DMP) avec sa propre base de données (eh oui, « partagé » c’est quand même pas avec tout le monde), elle a décidé de demander directement aux patients de créer leur dossier médical sur Doctolib côté entreprise et non plus côté médecin. Les patients étant considérés comme consentants puisqu’effectuant eux-mêmes le dépôt, cette manœuvre est parfaitement légale. Cette fois la ligne blanche est franchie, et la Délégation du Numérique en santé (DNS), instance officielle du Ministère, sollicitée par l’association de patients France Assos Santé, a réagi en écrivant une Tribune pour alerter la population, que le journal Le Monde devait publier. Elle avait demandé aux syndicats de co-signer, ce que la FMF a bien entendu accepté de faire, contrairement à d’autres. Quelques petits conflits d’intérêt ? Je rappelle que la FMF est parfaitement indépendante de toute industrie, pharmaceutique, assurantielle ou autre et n’a aucun sponsor. On n’est pas riche mais au moins on est libre. A noter que le Collège de Médecine Générale avait également donné son accord pour signer.
Pour finir l’histoire, le Monde s’est rétracté et a publié un petit article bien lénifiant, un dimanche. Le Directeur de la plate-forme en ligne a décidément les bras aussi longs que ses dents. France Assos Santé a décidé de diffuser néanmoins cette Tribune sur les réseaux sociaux, en son nom propre. Pour paraphraser Coluche : quand on pense qu’il suffirait que les médecins et hôpitaux n’achètent plus ces produits pour que cette évolution toxique n’ait pas lieu …
Petite embellie, vous savez que le 22 décembre nos tarifs vont enfin augmenter un peu : 30 euros pour le G (nouvelle dénomination pour la consultation du généraliste) et 60 euros pour l’APC (avis ponctuel de consultant, ouvert à toute spécialité y compris les généralistes). Dans le même temps (Article 50 de la convention) est prévu un encadrement drastique des majorations pour consultations non régulées aux horaires de Permanence Des Soins (PDSA). Les codes F, MDD, MN, MM, sont remplacés par MHP à 5 euros, sauf urgences. Ceci a été décidé d’un commun accord Assurance-Maladie et syndicats, dans le but louable de rendre moins attractifs les Centres de Soins Non Programmés (CNSP) qui siphonnent de nombreux médecins au détriment des installations et suivis de patients. Mais du terrain nous remontent les difficultés que vont rencontrer certaines authentiques Maisons Médicales de Garde (MMG) qui accueillent des patients non régulés par le 15, en accès direct parce que bien identifiées MMG, ou par réorientations à partir des urgences, ou certains cabinets qui assurent de facto des gardes de week-end sans être labellisés comme les cabinets de stations balnéaires ou sports d’hiver à certaines périodes. C’est pourquoi les syndicats signataires de la Convention ont demandé un moratoire de quelques mois, le temps de discuter des critères de validité de la régulation. Car il est certain que les SAMU Centre 15 ne pourront pas absorber seuls tous les appels qui de ce fait leur seront redirigés. N’hésitez pas à nous faire remonter vos organisations locales, utiles à la population, qui risqueraient d’être impactées si tous les patients devaient appeler le 15 avant d’être reçus aux horaires de PDSA.
Enfin, je vous informe que l’obligation d’ordonnance sécurisée pour les antalgiques de palier 2 (codéine et tramadol), prévue le 1er décembre est repoussée au 1er mars.
De même on peut douter de la date butoir du 1er janvier pour la e-prescription obligatoire, car les pharmaciens ne sont pas du tout équipés pour recevoir ces prescriptions. Et même du côté médecins, tous les problèmes ne sont pas techniquement résolus, puisque ces e-prescriptions nécessitent la CPS qui ne peut être donnée qu’en unique exemplaire au médecin installé ou remplaçant thésé. A suivre …
Malgré tout cela, je vous souhaite une bonne semaine.