Le 1er décembre 2024 la codéine et le tramadol rejoindront la (déjà longue) liste des produits stupéfiants ou assimilés nécessitant une prescription sécurisée.
Si on ne peut qu’adhérer à la nécessaire lutte contre le trafic et contre le mésusage, et donc aussi contre l’utilisation d’ordonnances contrefaites ou falsifiées, on peut une fois de plus déplorer une décision prise sans concertation, ni même la moindre communication envers le professionnels de santé concernés. Et on peut aussi être surpris qu’une obligation d’une telle importance ne soit ni une loi, ni même un décret, ni même un arrêté ministériel, ou encore une décision de l’UNCAM (qui est au moins une instance collégiale). Non c’est une simple décision d’ordre administratif d’Alexandre DE LA VOLPILIERE, directeur général (par intérim !!) de l’ANSM (mais on peut probablement penser qu’il agit sur instruction).
C’est donc pour les médecins prescripteurs une charge administrative supplémentaire, mais aussi pour les pharmaciens puisque ces prescriptions doivent être tracées, donc inscrites dans un registre dédié. Et le nombre des prescriptions de codéine ou de tramadol est sans commune mesure avec celui des autres produits « stupéfiants ».
Bref rappel règlementaire : une ordonnance sécurisée papier répond à des spécifications techniques précises : papier filigrané blanc naturel sans azurant optique, mentions pré-imprimées en bleu, numérotation de lot, carré en micro-lettres permettant aux professionnels de santé d’indiquer le nombre de spécialités médicales prescrites etc. Le rédacteur doit indiquer en toutes lettres le nombre d’unités thérapeutiques par prise, le nombre de prises et le dosage de la spécialité. Rappelons aussi que la mention « En toutes lettres » n’est pas synonyme de « manuscrite » comme on l’entend parfois : on peut parfaitement, depuis la disparition des carnets à souches en 1999, imprimer les ordonnances de stupéfiants, du moment que le support est conforme à la loi.
Mais attention, à partir du 1er janvier 2025, une nouvelle obligation se rajoutera : il faudra mentionner sur l’ordonnance celui des motifs mentionnés à l’article R. 4073-2 justifiant que la prescription soit établie sur ce support.
Parce qu’à partir du 1er janvier 2025, l’ordonnance numérique devient elle aussi obligatoire. Il s’agit cette fois-ci d’un décret en bonne et due forme.
Conformément aux dispositions de l’article 2 de cette ordonnance, les professionnels mentionnés aux articles L. 4071-1 et L. 4071-2 du code de la santé publique se conforment, au plus tard le 31 décembre 2024, à l’obligation de dématérialisation résultant de ces mêmes dispositions.
On peut d’ailleurs s’étonner de ne pas avoir fait coïncider les deux dates, ce mois d’écart n’ayant aucune justification pratique et ne faisant qu’ajouter à la pagaille qui ne va pas manquer de survenir, car les hospitaliers en particulier ne sont pas du tout prêts.
De même on peut prévoir de gros soucis pour les remplaçants et les internes (toujours le bazar des CPx) et en garde en MMG où on ne dispose pas toujours. d’informatique, de lecteur de CPS ou d’une connexion internet.
L’ordonnance numérique est parfaitement règlementaire pour la prescription de produit stupéfiants, à la double condition que l’ordonnance ne comporte QUE des produits stupéfiants (il faudra donc penser à séparer le paracétamol-codéine des AINS ou du paracétamol simple, ce qui risque de « perdre » les patients), et qu’il soit indiqué la pharmacie chargée de la délivrance, ce qui peut aussi poser des problèmes pratiques en cas de vacances, de consultation un jour férié, ou de déplacement du patient !
Et donc il existe liste des motifs de non-utilisation de l’ordonnance numérique, et il faudra mentionner sur les ordonnances de stupéfiants « papier » ce motif de non-utilisation, parmi la liste des motifs « agréés » :
« Art. R. 4073-2.-Les professionnels mentionnés aux articles L. 4071-1 et L. 4071-2 ne sont pas tenus de procéder par voie dématérialisée dans les cas suivants :
« 1° Indisponibilité des téléservices mentionnés à l’article R. 4071-1 ;
« 2° Connexion internet insuffisante liée à la situation du lieu habituel d’exercice ou à l’accomplissement d’actes en dehors de ce dernier ;
« 3° Impossibilité technique ponctuelle d’accès aux téléservices mentionnés à l’article R. 4071-1, ou impossibilité technique durable pour une cause étrangère au professionnel ;
« 4° Absence, pour le professionnel qui exécute la prescription, d’une prescription dématérialisée ;
« 5° Impossibilité d’identification du patient via les services numériques en santé dédiés ;
« 6° Prescription occasionnelle pour soi-même ou pour son entourage ;
« 7° Pour les professionnels du service de santé des armées, conditions d’exercice des missions faisant obstacle à la mise en œuvre de cette obligation.
« Dans tous ces cas, le prescripteur établit une prescription sous format papier, sans préjudice des obligations de versement dans le dossier médical partagé de l’assuré ou de transmission par messagerie sécurisée en application des articles L. 1111-14 et L. 1111-15. »
Là où le bât blesse … c’est qu’une fois de plus les obligations arrivent sans tenir compte du rythme d’équipement de la professions. À ce jour 27/10/24, sur 46 logiciels médecins référencés Ségur, seuls 13 ont reçu l’agrément « ordonnance numérique ». Et seulement 6 chez nos amis pharmaciens ! Et si les pharmaciens ne sont pas équipés pour les traiter, les ordonnances numériques ne servent à rien !
Là encore, un peu de concertation avec les médecins et les pharmaciens (et les dentistes, sages-femmes et infirmiers) aurait été une bonne idée, une fois de plus sacrifiée sur l’autel de l’autoritarisme.
Dr Bassam Al Nasser
Clinique du Parc Saint Lazare
3 Avenue Jean Rostand
60000 – Beauvais
Beauvais le 03/11/2024
L’addiction à la codéine et au tramadol : une crise silencieuse et la nécessité de légiférer
Dans un article pour la FMF intitulé « Ordonnance sécurisée pour Codéine et Tramadol », Richard Talbot évoque l’impact administratif des ordonnances sécurisées pour les médecins et les pharmaciens, qui doivent tracer chaque prescription dans un registre dédié. Cependant, la réflexion doit aller au-delà de cet aspect administratif, car l’enjeu principal reste la protection des patients. Avec plus de 106 spécialités de tramadol et de nombreuses variantes de codéine disponibles en France, les risques de dépendance et de mésusage demeurent préoccupants.
La dépendance à la codéine et au tramadol est devenue un problème de santé publique majeur. Bien que ces médicaments soient essentiels pour le soulagement de la douleur, leur mésusage a entraîné une hausse alarmante des cas de dépendance, particulièrement chez les jeunes et les patients chroniques. Face à cette situation, il est urgent de renforcer la législation encadrant leur prescription pour mieux protéger la santé publique.
Des risques sous-estimés
Selon l’Observatoire Français des Médicaments Antalgiques (Ofma), la majorité des patients prenant du Tramadol ou de la codéine ne connaissent ni la dose maximale journalière ni le risque de dépression respiratoire en cas de surdose, un effet qui peut être fatal. Cette ignorance souligne la nécessité d’une meilleure information des patients. Par ailleurs, le réseau des Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance (CEIP-A) rapporte une hausse des signalements d’abus et de dépendance liés à ces médicaments. Pour répondre à cette situation, l’ANSM a introduit en 2023 des conditionnements de 10 ou 15 comprimés, adaptés aux traitements de courte durée.
La nécessité d’un cadre législatif renforcé
La France devrait renforcer l’encadrement des prescriptions de codéine et de Tramadol pour limiter l’usage abusif et prévenir le risque de dépendance iatrogène. Bien que perçues comme des lourdeurs administratives, certaines mesures jouent un rôle essentiel dans la prévention de l’addiction :
• Ordonnances sécurisées : Exiger des ordonnances sécurisées pour chaque prescription de codéine et de tramadol afin de prévenir les falsifications.
• Limitation de la durée de prescription : Restreindre la durée initiale des prescriptions, avec une réévaluation obligatoire avant tout renouvellement.
• Suivi médical des patients : Assurer un suivi régulier des patients sous traitement prolongé, incluant des bilans et des ajustements de dose si nécessaire.
• Campagnes de sensibilisation : Informer le public, notamment les jeunes, des risques liés à l’abus de ces médicaments pour éviter leur banalisation.
• Les ordonnances numériques pour la codéine et le tramadol renforcent la sécurité et la traçabilité, tout en facilitant l’accès pour les patients et les professionnels de santé. Cependant, la confidentialité, la sécurité des données et l’accessibilité pour certains patients restent des enjeux importants. Pour être efficaces, ces ordonnances doivent s’inscrire dans un cadre sécurisé et accessible, avec un soutien technique et humain garantissant un accès équitable aux traitements.
• Ces mesures permettraient de mieux protéger la santé publique tout en encadrant les prescriptions.
Conclusion
Malgré la lourdeur administrative la crise de dépendance à la codéine et au Tramadol appelle une réponse législative forte et rapide. En renforçant les règles de prescription et en informant davantage le public, il est possible de réduire les risques tout en garantissant un accès sécurisé aux traitements pour les patients qui en ont réellement besoin.
Références
1) https://www.fmfpro.org/ordonnance-securisee-pour-codeine-et-tramadol/
2) https://addictovigilance.fr/wp-content/uploads/2021/06/Bulletin_18_ASOS.pdf
3) Risques de dépendance aux médicaments : https://ansm.sante.fr/actualites/tramadol-et-codeine-devront-etre-prescrits-sur-une-ordonnance-securisee-des-le-1er-decembre•
4) https://www.gov.uk/drug-safety-update/over-the-counter-painkillers-containing-codeine-or-dihydrocodeine
5) https://www.medscape.com/viewarticle/808273?form=fpf
6) https://www.quechoisir.org/actualite-antidouleur-les-dangers-meconnus-du-tramadol-n113090/