Modifications réglementaires des prescriptions d’arrêt de travail en téléconsultation.

L’article 65 de la Loi de Finances de la Sécurité Sociale 2024 (LFSS2024) a profondément remanié les conditions de prescription des arrêts de travail en téléconsultation.

Il est important de préciser que :

  • ça n’a pas été discuté puisque la LFSS est passé avec la procédure 49.3 ;
  • qu’il n’y a eu aucune consultation des libéraux en amont ;
  • que c’est une loi et que ça sort donc malheureusement du champ des négociations conventionnelles ;
  • et que comme c’est une loi seule une autre loi peut la détricoter ou l’amender, ce qui restreint énormément l’action syndicale, surtout dans la situation actuelle très incertaine au niveau de l’Assemblée Nationale.

Mais que prévoit donc cet article  ?

Lors d’un acte de télémédecine, la prescription ou le renouvellement d’un arrêt de travail ne peut porter sur plus de trois jours ni avoir pour effet de porter à plus de trois jours la durée d’un arrêt de travail déjà en cours. Il n’est fait exception à cette règle que lorsque l’arrêt de travail est prescrit ou renouvelé par le médecin traitant ou la sage-femme référente mentionnée à l’article L. 162-8-2 du code de la sécurité sociale ou en cas d’impossibilité, dûment justifiée par le patient, de consulter un professionnel médical compétent pour obtenir, par une prescription réalisée en sa présence, une prolongation de l’arrêt de travail.

L’exposé des motifs du projet de loi laissait entendre que le but principal en était la qualité des soins :

La mesure limite à trois le nombre de jours d’indemnités journalières pouvant être prescrits en téléconsultation quand elle n’a pas lieu avec son médecin traitant, car si l’état de santé de l’assuré ne s’améliore pas, voire s’aggrave au‑delà d’une période de trois jours, il est nécessaire que celui‑ci puisse être examiné physiquement par un médecin pour permettre la prise en charge d’une éventuelle pathologie plus lourde qu’initialement diagnostiquée en l’absence d’examen physique. Des exceptions sont prévues pour prendre en compte les difficultés d’accès au médecin.

sauf qu’on y trouve aussi ailleurs ce paragraphe :

La très forte dynamique de la dépense d’indemnités journalières observée actuellement rend nécessaire des mesures de responsabilisation collective des professionnels prescripteurs et des assurés bénéficiaires d’arrêts maladie, afin de garantir la soutenabilité des comptes sociaux et d’assurer la pérennité de notre modèle protecteur d’indemnisation des arrêts de travail, pour garantir à chacun un revenu de remplacement lorsque sa santé lui impose de cesser momentanément son activité professionnelle..

 

et que la motivation réelle est de limiter les Indemnités Journalières pour des motifs avant tout économiques, même s’ils sont parfaitement entendables.

Une fois de plus la représentation nationale préfère la voie de la coercition à celle de la confiance, tant envers les assurés sociaux qu’envers les professionnels de santé.

En effet cette limitation multiplie les effets pervers :

  • Il existe un certain nombre de pathologies pour lesquelles, même en l’absence d’aggravation, on sait déjà que la durée de l’arrêt de travail va être supérieure à 3 jours, et ça figure même sur les fiches indicatives AMELI : Grippe 5 jours, troubles anxiodépressifs mineurs 14 jours, lombalgie commune 5 jours, bronchite 4 à 7 jours, cervicale 1 à 15 jours, canal carpien (hors chirurgie) 5 jours, tendinopathie de coiffe 5 à 21 jours. Prescrire moins ne peut donc qu’obliger à reconsulter (sans nécessité médicale formelle) et donc va augmenter les dépenses de l’assurance maladie et diminuer le temps médical disponible, alors que c’est une denrée rare et précieuse.
  • La prescription d’arrêt de travail est une modalité thérapeutique en elle-même. La durée de l’arrêt fait partie des modalités thérapeutiques et ce texte l’ignore totalement. Reprendre prématurément peut être très délétère.
  • Il y a une oblitération totale des 11% d’assurés sans médecin traitant, pour lesquels la téléconsultation reste parfois une des seules possibilités d’accès aux soins. Et donc l’égalité des français est encore un peu plus écornée.
  • Cette disposition entraîne mécaniquement une hausse de la quantité de travail des généralistes traitants, qui n’en manquent déjà pas, et de leurs prescriptions d’arrêts de travail, alors même que nous sortons d’une vague de procédures MSO/MSAP particulièrement importante. Certains risquent donc d’être pour le moins réticents.
  • C’est particulièrement problématique pour les pathologies majoritairement suivies par les spécialistes de second recours, sans utilité de l’intervention du médecin traitant, et en particulier pour les pathologies psychiatriques, pour lesquelles l’intérêt de la télémédecine est tellement évident que le taux maximum d’activité a été relevé à 40%. Mais dans ce cadre la limitation, pour ne pas dire l’interdiction, de prescription d’arrêt de travail est particulièrement incongrue et mal venue, alors même que l’arrêt de travail est un élément parfois essentiel du traitement de la pathologie.

Les esprits simples diront qu’il « suffit » que les spécialistes dans ce cas de figure deviennent médecins traitants de ces patients. Ils en ont certes la possibilité, mais la majorité ne le souhaitent pas, car la fonction de médecin traitant reste la plupart du temps une spécificité de la spécialité de médecine générale, et ne correspond pas à l’exercice de la médecine de spécialité. La FMF n’y est d’ailleurs pas du tout favorable.

Nous serions bien plus favorables à l’élargissement de la possibilité d’arrêt de travail en téléconsultation à tous les médecins qui exercent un suivi effectif des patients, à charge à l’Assurance Maladie de les identifier. Une possibilité intermédiaire seraient d’inclure cette possibilité dans les protocoles ALD … mais ça laisse de côté pour les patients suivis au long cours sans être pris en ALD.

Et nous nous heurtons toujours à cette difficulté majeure : comment modifier un article de loi ? notre seule possibilité actuellement, en dehors d’un lobbying rendu bien difficile par l’absence de majorité claire, est de faire remonter systématiquement nos observations en Commissions Paritaires Locales, Régionales et Nationale, en espérant que la CNAM en prenne note et intervienne auprès du Ministre de la Santé, dont ignorons qui occupera le poste dans le prochain gouvernement, pour que la question soit posée à l’Assemblée Nationale …

En attendant, bien des difficultés inutiles sont à attendre pour les médecins libéraux et pour les patients, en raison d’un article de loi écrit sans concertation, sans avis des professionnels, et adopté sans discussion.

 

 

Pour rire un peu, la fiche synoptique de toutes les durées d’arrêts recommandées sur Ameli :