La fixation d’objectifs chiffrés en terme de patientèle et/ou de file active pour les contrats d’assistants médicaux par la CNAM est-elle pertinente en matière d’amélioration de l’accès aux soins ?
Curieuse question n’est-ce pas ? Qui provient de réflexions quand je regarde ces objectifs en me demandant quelle est la meilleure stratégie pour les atteindre.
Pour les pédiatres et les généralistes, l’objectif est double : augmentation de la patientèle MT et augmentation de la file active.
Pour les autres spécialistes, il ne concerne que l’augmentation de la file active.
Sans différenciation d’âge ou d’ALD, comme si pour la CNAM un patient égale un patient.
Et pourtant il suffit d’y réfléchir 15 secondes pour se persuader du contraire.
Quand vous accueillez dans votre patientèle le nouveau bébé de Mme Michu, vous savez que vous le verrez au moins 10 fois par an les deux premières années, entre les consultations obligatoires, les rhinos, les dents, les coliques, les otites, et les inquiétudes des nouveaux parents. Pour des consultations souvent plus longues que la moyenne. Et oui les bébés c’est compliqué …
Pendant ces deux mêmes années, vous auriez donc pu inscrire dans votre patientèle 20 jeunes trentenaires n’ayant besoin de consulter qu’une fois tous les deux ans.
Donc au bout de la première année : 1 nouveau patient MT contre 10, 1 patient en file active contre 10 également
Et pour la deuxième année : pas de nouveau patient MT contre 10, 1 patient en file active contre 10 (oui la deuxième année par contre ça n’augmente pas la file active : 10 patients nouveaux mais les 10 de l’année dernière ne sont pas revenus et ne comptent pas).
Ou même 10 patients SNP en file active, qui non seulement augmentent la file active mais en plus rapportent chacun 15 € de plus et permettent de valider l’item SNP du Forfait Structure.
Le même raisonnement peut d’ailleurs s’appliquer aux patients âgés ou aux patients en ALD, qui nécessitent 4, 6 ou 8 consultations dans l’année, mais ne comptent que pour 1 patient MT la première année où ils rentrent dans la patientèle, et 1 patient file active les années suivantes. Et qui en plus plombent le RIAP de jolies étoiles sur toutes les lignes (sauf pour les IJ, et encore il y a les patients en ALD de moins de 60 ans qui sont plus souvent et plus longtemps arrêtés que les autres), et votre ROSP de prescriptions d’IPP, d’ézétimibe ou de somnifères.
Et pourtant, pour quel travail a-t-on le plus besoin d’un•e assistant•e ? Pour deux ordres de tâches en fait
- Faire toute la partie administrative des dossiers des nouveaux patients, voire même une partie du recueil des antécédents ou des traitements en cours si on a un•e assistant•e particulièrement performant•e. Mais ça c’est juste une fois ;
- S’occuper du suivi des patients « habituels » :
- en amont de la consultation : accueil, vérification du dossier, de la bonne programmation et/ou effection des bilans ou examens, éventuellement prise de constantes (en particulier pour les bébés),
- et en aval : prise de rendez-vous pour les examens d’imagerie, les avis de spécialiste, la prise des rendez-vous suivants.
A mon sens, l’utilité est nettement plus évidente pour le suivi. Mais la fixation des objectifs à atteindre oriente nettement vers la prise en charge de patients jeunes sans pathologie chronique.
Pourtant la demande pressante de la CNAM (et du Ministère de la Santé) est qu’on prenne plus de patients MT en ALD. Et le moyen d’y arriver, quand on discute avec les CPAM en CPL, ou avec la CNAM en négociations, c’est « Prenez donc un•e assistant•e ! ». Sauf que l’analyse montre que ce n’est pas performant du tout si on veut atteindre les objectifs demandés par ces mêmes CPAM ou CNAM !
La solution évidente est qu’il ne faudrait donc pas dénombrer patientèle MT ou file active de façon brute et uniforme, mais affecter chaque patient d’un coefficient en fonction de son âge et de ses pathologies. Ce qui rendrait évidemment le décompte pour la CNAM bien plus difficile. Mais devons-nous diminuer la charge administrative de travail de la CNAM ou chercher des solutions pour rendre le dispositif plus performant ?
D’ailleurs, si on compare généralistes et pédiatres (les seuls à devoir agir à la fois sur la patientèle MT et la file active), on se rend compte que les progressions demandées aux pédiatres sont nettement moindres ! probablement du fait que les pédiatres ne voient que des enfants, et donc sont plus confrontés aux difficultés que nous avons soulignées plus haut.
Un des points positifs à ce sujet du règlement arbitral est que les enfants sont maintenant pris en compte dans la patientèle.
Pour une patientèle entre le 30e et le 50e percentile, un généraliste doit augmenter de 305 patients et un pédiatre de … 21 !
Pour une file active entre le 30e et le 50e percentile, un généraliste doit augmenter de 467 patients et un pédiatre de … 352.
Parce que les pédiatres ont des patientèles et des files actives nettement inférieures à celles des généralistes, en particulier au niveau des patientèles : P30 des généralistes à 775, P30 des pédiatres à … 51 (moins que la patientèle enfants de la plupart des généralistes en fait, alors que la patientèle théorique ROSP enfants est de 600 patients). Et pour la file active : P30 des généralistes à 1219, P30 des pédiatres à 949.
Probablement les pédiatres ont-ils compris qu’ils avaient plus à gagner avec les majorations de coordination et les APC qu’avec le forfait MT et la ROSP enfants !
Mais ne nous plaignons pas : un ophtalmologiste avec une file active à P30 doit l’augmenter de 1222 pour un point de départ à 3151 ! autant dire qu’on lui demande de faire de l’abattage grâce à son assistant•e.
Et un autre point intéressant, c’est que la CNAM se félicite que pour les généralistes l’assistant•e permet de faire une à deux consultations de plus par jour. Allez soyons fous, comptons 2 consultations pour 225 jours travaillés par an (en moyenne) soit 450 consultations par an.
Ça ramène le prix de la consultation supplémentaire à (450 x 25 + 36000 (la première année))/450 soit 105 € ! Et encore il faut y rajouter les majorations des FPMT et de la ROSP (proportionnelle à la patientèle), et le prix des quelques 700 heures de formation obligatoire pour l’assistant•e.
Alors les assistant•e•s apportent beaucoup de confort à l’exercice des médecins qui en bénéficient. Mais permettent-elles d’atteindre le but qui leur est assigné en réduction du nombre de patients sans MT ? et l’investissement total est-il vraiment si rentable ? Probablement que non, puisqu’initialement les assistant•e•s devaient s’autofinancer avec les revenus supplémentaires induits par leur emploi à partir de la 4ème année, mais qu’on a bien vu par la suite que l’équilibre financier des cabinets nécessitait la poursuite de la perfusion de façon permanente, même si elle est moindre que les première et deuxième années.