par Catherine Le Borgne
Voir sur http://www.egora.fr/ (inscription requise)
« Et voilà, au lieu des 16,10 euros habituellement crédités par la Cpam – le patient ou la mutuelle acquittant 6,90 euros de leur côté – je touche 6,90 euros, c’est à dire que j’en suis de 9,20 euros de ma poche », s’énerve le Dr Thierry Lemoine, médecin généraliste dans la Manche.
Bingo
Eh oui, du fait d’un accès du patient hors parcours de soins, le remboursement du patient est minoré de 30 %. Et 70 % de 23 euros, moins 30 % donnent effectivement 6,90 euros. De quoi rager lorsque, à l’image de ce généraliste normand, le nombre de patients sous tiers payant représentent plusieurs dizaines de consultations par mois. De nombreuses protestations remontant des régions, une saisine officielle a été faite en commission paritaire nationale. Et les syndicats attendent que l’assurance maladie résolve un problème qui, pour l’instant, semble dépasser les capacités de son informatique.
Deux cas peuvent se présenter : soit le patient en tiers payant n’a pas de médecin traitant. Et c’est bingo pour le généraliste qui ne le connaît pas et le reçoit. Soit le patient prétend qu’il a un médecin traitant alors qu’il n’en a pas. Et c’est encore bingo pour le médecin de famille qui a coché la case ‘médecin remplacé’ alors que le patient n’est inscrit dans aucun parcours de soins. La déclaration médecin traitant peut aussi se perdre, s’évanouir dans la nature à l’occasion d’un changement de statut. Tant pis pour le médecin de famille, le ticket est toujours gagnant !
Alors le généraliste doit écrire, et écrire encore à la ou aux Cpam pour tenter d’obtenir réparation et remboursement. Le jeu est encore plus amusant si le patient volage est d’un autre département (le Dr Lemoine exerce sur une frontière), car les caisses font du ping-pong entre elles.
Main mise bolchévique
Or, les dossiers de litige seraient très nombreux. Plusieurs dizaines en tout cas atterrissent à la cellule juridique de la Fédération des médecins de France, pour qui cette affaire n’a “rien de marginal” selon le mot du Dr. Marcel Garrigou-Grandchamp, qui patronne la cellule. “C’est le patient qui n’a pas de médecin traitant ou ne respecte pas le parcours de soins, mais c’est le médecin qui est pénalisé, on marche sur la tête !”, résume-t-il en soupirant.
L’affaire est d’autant plus agaçante qu’en ces périodes de crise économique et de campagne électorale, on voit fleurir des propositions de tiers-payant partout. Le parti socialiste en fait une revendication phare de son programme et veut le généraliser pour la médecine de ville en secteur 1, la Mutualité française réclame, pour ses adhérents ayant un médecin traitant, une dispense totale de frais, la dispense des franchises et le droit à une couverture complémentaire solidaire accessible d’accès. Le syndicat MG France revendique également, et depuis longtemps, le droit pour les médecins généralistes de bénéficier de la dispense d’avance de frais pour les soins courant. Comme peuvent le faire, depuis longtemps, les spécialistes lorsque le montant des actes dépasse un certain montant…. Et la convention médicale autorise la pratique du tiers payant pour les généralistes qui ont affaire à des patients en difficulté financière. Il serait temps de remettre les pendules à l’heure.
« Franchement, les médecins ne sont pas opposés au tiers payant, surtout en ces temps de…
crise où on voit de plus en plus de familles le demander par nécessité”, confirme le Dr Lemoine, “mais ces tracasseries exaspérantes pourraient bien les faire changer d’avis”. De fait, les esprits ont largement évolué depuis la période où les médecins de famille voyaient dans cette pratique une main mise quasi bolchévique sur l’exercice libéral. Le tiers-payant progresse en effet. Il concerne aujourd’hui les accidents du travail ou maladies professionnelles, les actes de dépistage organisés, les hospitalisations (éventuellement aussi pour la part complémentaire), les patients en CMU, ceux éligibles à l’aide complémentaire santé (ACS), les titulaires de l’aide médicale d’Etat (AME) et les actes d’urgence, pour la part obligatoire.
« On ruse, faut bien »
Elargissement qui se produit avec son lot d’effets pervers sur les remboursements au praticien, car la musique ne suit pas. Témoignage de Pithivier sur Egora.fr : »ALD non renouvelées à temps, CMU périmée, fausse AME, autre médecin traitant. J’ai collectionné les remboursements à 11 euros, puis à 6 euros. C’est comme pour les accidents du travail non reconnus ou auxquels la mairie de Paris met un terme. Au lieu d’être payés, on s’assoit dessus… Avec une belle lettre de la mairie”. Petite consolation, tout de même, signalée par le Dr Garrigou-Grandchamp : un décret tout récent, du 21 mars dernier précise qu’en cas de changement de département ou de régime, l’assuré n’est plus obligé de faire une nouvelle demande de prise en charge pour ALD ou post ALD. Mais il n’y a, hélas, encore rien d ’équivalent pour le formulaire de déclaration de médecin traitant. Les praticiens sont obligés de les rééditer à chaque changement de régime (fréquents pour les étudiants qui entrent dans la vie active), ou déménagements dans un autre département.
Alors, certes, l’assurance maladie conseille aux médecins de famille de se connecter sur ameli.Pro pour connaître la situation du patient en regard de ses droits. Eclats de rires de nos témoins. « Encore faut-il que nos patients aient leur carte sur eux – ils les oublient souvent. Ou ils les attendent (plusieurs mois pour les étudiants). Et encore faut-il que les malades étrangers ou nos personnes très âgées comprennent la question qu’on leur pose. Ce n’est pas du tout évident”, dit l’un alors que l’autre s’esclaffe en évoquant la technologie des caisses, “largement obsolète, lente et dépassée”. Alors ils ont un truc : enregistrer cet acte comme une urgence, situation qui ne nécessite pas la déclaration d’un médecin traitant pour être intégralement remboursé. “On ruse, faut bien”, confessent-ils.
Il est vrai qu’en officialisant le lancement de la vaste opération de dématérialisation des ordonnances, concernant à la fois les pharmaciens d’officine et les médecins, le directeur général de l’assurance maladie Frédéric Van Roekeghem n’avait pas caché que ce challenge à relever d’ici 2014 allait demander à ses services, un “effort technologique très conséquent”.