La communauté médicale s’est émue de la parution au Journal Officiel du Décret n° 2021-685 du 28 mai 2021 relatif au pharmacien correspondant qui autorise les pharmaciens, sous certaines conditions, à renouveler les traitements chroniques et à en modifier éventuellement les posologies.
A juste titre selon les médecins, car il s’agit là d’un acte médical.
Il n’y a pas de renouvellement d’ordonnance.
Par contre, il y a des réévaluations de traitement, en fonction
- de l’évolution des données de la science
- de la position du patient et de l’évolution de son état de santé.
- de l’analyse des médecins quant aux deux éléments précédents.
Les médecins sont les seuls à pouvoir le faire parce que c’est leur métier
Un traitement chronique est l’aboutissement de dizaines d’heures d’examens, d’entretiens, de synthèses, un équilibre souvent fragile qu’il faut regarder avec circonspection et prudence.
Le pharmacien est il en position de le réévaluer ? Non
Le pharmacien est il en position de l’ajuster ? Non.
Le « renouvellement » nécessite un réexamen régulier du patient et ne doit être envisagé que sur des critères médicaux ou à l’aune d’une concertation entre médecins de premier et deuxième recours, voire après hospitalisation.
« Renouveler » un traitement sans passer par la case médecin représente de plus un risque accru d’accumulation de pathologies, d’apparition de symptômes traduisant une aggravation dont la prise en charge sera de facto retardée ; alors que le temps de consultation médicale restreint ne permettra pas d’appréhender les problématiques de façon exhaustive.
On l’a vu avec la Covid : des patients perdus de vue pendant six mois ont vu leurs hémoglobines glyquées s’envoler, les pathologies s’accumuler : ce n’est qu’un exemple pour illustrer le risque de perte de chance à terme. Et pourtant le pharmacien était théoriquement dans l’obligation d’informer les médecins de cette prolongation de traitement.
Est-ce une mesure d’économie ? On peut le craindre. Confier le Soin au prestataire, à celui qui délivre le traitement est une aberration en plus d’être un risque pour le patient.
Et pourtant, il n’y a rien de nouveau sous le soleil !
Le rôle de pharmacien correspondant autorisé, entre autres, à renouveler et modifier les traitements, a été introduit par l’article 38 de la loi HPST (loi « Bachelot » de triste mémoire) en 2009.
Puis renouvelé et simplifié par l’article 39 de la loi de Financement de la Sécurité Sociale 2019.
Les infirmiers peuvent d’ailleurs, sous certaines conditions, adapter eux aussi les posologies des traitements !
Ce nouvel avatar n’aura probablement pas plus de succès, d’autant que
- le pharmacien et le médecin prescripteur doivent appartenir à la même structure de soins coordonnés (MSP, ESP, ESS, CPTS)
- le médecin doit avoir notifié son accord par avance sur la prescription
- les conditions pour le faire doivent être protocolisées dans la structure
- un certain nombre de traitements seront exclus du dispositif
- la pharmacie doit disposer de locaux avec une isolation phonique et visuelle permettant un accueil individualisé des patients.
On voit ainsi poindre la notion de « consultation pharmaceutique », mais totalement dévoyée dans un but purement économique.
En réalité les pharmaciens sont des spécialistes du médicament
Ils peuvent gérer les interactions médicamenteuses, certains effets secondaires, l’observance, la compréhension par les patients.
Ils peuvent faire le lien entre les prescriptions des différents médecins intervenant dans la prise en charge des patients, qui souvent s’ignorent.
Ils peuvent intervenir dans l’éducation thérapeutique des patients.
C’est là le sens évident de ce que devrait être la consultation pharmaceutique.
Qu’on les paie pour cela et la santé publique fera un bond en avant en France.
D’une façon plus large, on peut voir que le législateur est têtu !
et réessaye périodiquement de s’immiscer dans la relation de soins entre le patient et son médecin, sans trop comprendre ce qu’il fait.
Comme il s’immisce dans la gouvernance des CPTS et des MSP, décide par décret qu’elles doivent s’investir dans la gestion des crises sanitaires, décide autoritairement que le seul statut acceptable pour les CPTS sera celui d’association Loi de 1901, distribue les prises en charge de certaines pathologies aux pharmaciens, infirmiers et kinésithérapeutes, mais en chargeant les médecins de rédiger les protocoles permettant cette délégation de tâches !
Bref le législateur essaie de faire disparaître la notion même de médecine libérale, sans penser qu’il fait disparaître ainsi tout ce qui fait la force du système français : la souplesse, la réactivité, et la qualité des soins.