Sous la pression politique la CNAM a diligenté une requête informatique centrée sur les prescriptions d’Indemnités Journalières (IJ) des seuls Médecins Généralistes sur 6 mois, entre le 01/09/2022 et le 28/02/2023.
En effet, l’article L.162-1-15 du code de la sécurité sociale permet aux directeurs de CPAM de contrôler statistiquement les prescriptions globales en volume et par patient. Les biais statistiques sont nombreux et ont permis à la Cellule Juridique de la FMF de contester avec succès ces procédures injustes devant les Tribunaux Administratifs (TA) lors de la précédente campagne en 2015.
D’où l’idée des statisticiens de la CNAM de se limiter cette année aux IJ par patient actif (sauf que cela ne fait pas partie des critères précisés dans l’art L.162-1-15). Le ciblage se limite aussi au seul Régime Général (RG) en ignorant les patients dépendants de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), de la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale (MGEN) et autres Sections Locales Mutualistes (SLM) ayant délégation de gestion pour les fonctionnaires de l’état et des collectivités territoriales ! Gênant pour le respect de « l’activité comparable » également précisée dans le texte de l’art L.162-1-15.
La gestion des IJ fait appel à de nombreux acteurs même si c’est le médecin qui signe la prescription d’arrêt !
Et le MG n’a pas de « baguette magique » pour résoudre les problèmes où les autres acteurs sont impuissants : service médical, médecine du travail, employeurs (Entreprises « toxiques » avec des taux d’arrêts au dessus de la moyenne et identifiées par les CPAM), médecine de second recours et ses délais… Mais les MG sont les SEULS pénalisés par ces procédures : Pas de MSO / MSAP pour tous les autres acteurs !
Il y aussi manifestement un problème de timing, la campagne MSO/MSAP 2022/2023 a démarré juste après que le directeur de la CNAM, Monsieur Thomas FATOME, ait demandé aux MG de prendre en file active des patients en Affection Longue Durée (ALD) sans Médecin traitant (MT). Plus de patients = plus d’IJ !
Entre 1 000 et 1 200 médecins ont ainsi été « sélectionnés » en France et ont été systématiquement informés par téléphone qu’ils allaient recevoir une LR+AR sur le sujet. Précaution prudente, et j’en remercie les CPAM leur rappelant fréquemment que l’on ne peut savoir dans quel état est le médecin qui reçoit un tel courrier. Il peut être « border-line » et la LR la goutte qui va le faire basculer comme cela est malheureusement arrivé dans le Nord il y a quelques années !
Au cours du mois de juin les médecins vont recevoir cette première LR/+AR de menace de MSO, et vont se tourner en grand nombre vers la Cellule Juridique (CJ) de la FMF, la CNAM et les CPAM ne pouvant imaginer à quel point cela a déstabilisé de très nombreuses consœurs et confrères qui se sentaient stigmatisés, dévalorisés, remis en question quant à leur exercice … J’ai pu aussi constater à cette occasion la féminisation de la médecine générale et l’état de fatigue de ces professionnels du premier recours qui sur réagissaient à ce courrier, certes désagréable, mais leur permettant de se justifier de leur difficultés face à cette problématique.
Certains ont accepté cet entretien, d’autres non, mais la CJ de la FMF a assisté en visio conférence tous ceux qui le souhaitaient lors de ce que j’appelle des « dialogues de sourds » avec du côté CPAM un administratif et un médecin conseil censé donner un habillage médical à une procédure seulement administrative : le médecin parlant médecine et la CPAM statistiques, écarts type… En faisant un forcing pour leur « vendre » la MSO comme un « accompagnement » qui allait « les aider » alors qu’en même temps dans certaines CPAM des confrères étaient poursuivis devant les Commissions des Pénalités Financières (CPF) pour la campagne précédente parce qu’ils n’avaient pas atteint l’objectif fixé !
La MSAP remonte à une loi de 2004 surchargeant le service médical, et rapidement complétée en 2011 par un texte introduisant la MSO : le médecin « fait le boulot » à la place du service médical, reconnaît sa culpabilité en matière de prescription d’IJ, se prive de tout droit à contestation, et il est pénalisé au bout s’il n’arrive pas à atteindre l’objectif fixé. La pénalité est limitée à 2 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale, 7 332 € quand même en 2023 !
Les CPAM ont arrêté quelques procédures, la majorité des MG se voyant proposer via une nouvelle LR+AR une MSO avec un objectif « raisonnable » et « limité » selon les dires des CPAM ! En gros 50% des MG ont accepté ces MSO, sans doute plus par lassitude… Les autres ont refusé sous quinzaine suivant les conseils des syndicats.
Et ils ont eu raison, sachant qu’en MSAP ils ne craignent aucune pénalité au bout, et la MSAP ne dure que 4 mois contre 6 pour la MSO, mais surtout leur choix était respectueux de la loi :
- Accepter la MSO c’est reconnaître prescrire trop d’IJ, c’est-à-dire des arrêts de complaisance ce qui exposerait le médecin à des procédures disciplinaires (art R4127-28 du code de la santé publique).
- Le CNOM a également informé les médecins (communiqué du 29/06/2023) que la MSO et l’art R148-1 du code de la sécurité sociale qui la permet ne respectent pas « l’indépendance professionnelle des médecins »et ainsi s’oppose à l’art R4127-5 du code de la santé publique. La FMF a estimé indispensable d’interroger la Première Ministre et le Ministre de la Santé sur cette opposition entre 2 textes réglementaires.
Quelques procédures ont été suspendues mais la majorité des MG ayant rejeté la MSO se sont retrouvés convoqués devant les Commissions des Pénalités Financières (CPF) des CPAM à l’automne via une 3è LR+AR. Les CPF n’ont qu’un avis « consultatif » et sont composées de 10 membres répartis en 2 sections : 5 issus du Conseil de la CPAM (représentants des syndicats de travailleurs et du patronat) pour la section sociale et 5 issus des syndicats médicaux signataires de la convention pour la sections professionnelle.
Les CPF doivent se prononcer sur la nécessité d’une MSAP et sa durée, mais quelque soit l’avis de la commission, le directeur de la CPAM peut décider de ne pas le suivre et doit alors solliciter le directeur de l’UNCAM pour faire valider sa décision !
Les CPF, représentent la 2è manche du dialogue de sourds avec des médecins parlant médecine et une section sociale analysant les données statistiques des CPAM à partir de celles fournies par la CNAM, sauf que celles-ci ne respectent pas les termes de l’art L.162-1-15 à propos de l’activité comparable qui
- ne se limite pas aux seuls critères socio-économiques ou autres indices de défavorisation INSEE du département. Il faudrait tenir compte de la typologie de la patientèle et de l’exercice du médecin, mais aussi du bassin de soins (ils ont tendance à s’étendre du fait de la crise de la démographie médicale et des patients font régulièrement plusieurs dizaines de Km pour avoir un Médecin Traitant).
- Devrait concerner la globalité de l’activité du médecin : le RG mais également les patients pris en charge par la MSA, la MGEN, les SLM…
- Devrait respecter les ratios d’IJ en relation avec les télé consultations et les régimes Accident du Travail – Maladies Professionnelles (AT-MP) / Maladie pour le médecin et les Prescripteurs dits « comparables » (PC).
La CJ de la FMF a pu assister un grand nombre de médecins « ciblés » par leur CPAM en visio conférence. La plupart du temps l’accueil a été correct, les conditions techniques pas toujours optimales et l’horaire rarement respecté. Trois CPAM (pour l’instant) en France s’y sont opposées, celle de l’Essonne (mais après échange avec son directeur Monsieur Albert LAUTMAN, le délai trop bref ne permettait pas l’organisation et il est très sensibilisé aux droits de la défense), de la Gironde et du Nord où là le refus ne peut relever de ce motif les CPF devant se tenir respectivement sous 8 et 15 jours ! La CJ de la FMF a adressé une protestation officielle contre cette entrave manifeste aux droits de la défense. A l’heure où j’écris ces lignes seule la CPAM de l’Essonne a adressé une réponse ! Dans ces conditions des procédures judiciaires (Référés liberté) vont être initiées, d’autant que les arguments de « confidentialité » mis en avant par les CPAM 33 & 59 sont infondés :
- Débats uniquement administratifs, non nominatifs en ce qui concerne les patients, donc pas de secret médical,
- Documents adressés par la CPAM en messagerie non sécurisée aux membres de la CPF,
- Les plateformes de visio conférence (ZOOM, JITSI …) ont un accès sécurisé par Identifiant/Mot de passe et la communication audio/vidéo est cryptée de bout en bout.
Et de nombreuses CPAM acceptent cette manière de fonctionner plus écologique et plus protectrice sur le plan sanitaire en cette période hivernale épidémique (GRIPPE, COVID 19, BRONCHIOLITE…) arguments de prévention pour lesquels l’assurance maladie devrait être sensible ! Ainsi j’ai été reçu en visio conférence ZOOM pour l’assistance de médecins devant la Commission des Pénalités Financières (CPF) par les CPAM suivantes (ordre chronologique) et la FMF les en remercie:
- CPAM 38 (ISÈRE) : les 06/10 – 19/10 – 20/10
- CPAM 14 (CALVADOS) : le 12/06
- CPAM 31 (HAUTE GARONNE): le 17/06
- CPAM 13 (BOUCHES-DU-RHÔNE): le 17/06
- CPAM 22 (COTE D’ARMOR): le 17/06
- CPAM 73 (SAVOIE): le 19/06
- CPAM 82 (TARN-ET-GARONNE): le 24/10
- CPAM 81 (TARN): le 07/11
Sur l’ensemble du territoire, la médaille d’or de la MSAP revient à la CPAM des Bouches-du-Rhône (13), et la médaille d’argent à celle de l’Isère (38) où les taux d’IJ seraient problématiques selon les dires de la direction.
La CJ de la FMF s’interroge sur l’efficience des services médicaux pour valider les IJ patient par patient des médecins placés sous MSAP sachant qu’ils ne sont déjà pas en mesure d’assurer leurs obligations normales : le contrôle des patients en arrêt long à 3 mois, 6 mois !
Dans notre expérience 99% des arrêts sont validés en MSAP ce qui montre que ces procédures sont autant inutiles qu’inefficaces.
Les médecins pour qui sera décidé une MSAP (4è LR+AR) devraient effectuer cette période de tracasseries inutiles sur les 4 premiers mois de 2024. La CJ de la FMF leur conseille de contester la procédure devant les juridictions administratives (TA) et se tiendra à leurs côtés pour cela :
- Procédure en référé suspension de la MSAP qui peut être écartée par le juge qui estime qu’il n’y a pas d’urgence,
- Demande de dommages et intérêts aux CPAM lors du jugement au fond s’il ne confirme pas la nécessité d’une MSAP et que l’audience se déroule après que celle-ci ait été effectuée par le médecin.
En effet, le médecin aurait subi une charge de travail supplémentaire du fait de la MSAP, une stigmatisation devant sa patientèle avec une atteinte à la relation de confiance indispensable à la prise en charge d’un patient par son médecin.
En conclusion, alors que de nouvelles négociations conventionnelles se profilent, j’ai envie de dire « tout ça pour ça » !
J’ai aussi pu constater l’effet contre productif de ces actions :
- Conseiller ordinal, je vois que les jeunes diplômés en MG fuient l’exercice en libéral lui préférant le salariat ou le remplacement.
- Les jeunes installés évoquent un « déplaquage », le secteur non conventionné ou une réorientation hors du champ de médecin traitant,
- Les plus anciens en cumul emploi-retraite l’arrêt du cumul …
Quel gâchis !
Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, CELLULE JURIDIQUE FMF