Aux débuts, en 2004, il n’y avait que la MSAP (Mise Sous Accord Préalable) ! En effet l’article L.162-1-15 avait été rajouté par le gouvernement de Jean-Pierre RAFFARIN au code de la sécurité sociale par l’article 25 de la loi cadre de santé 2004-810 du 13 août 2004, le même qui imposait au médecin généraliste d’aller renseigner un DMP (Dossier Médical Partagé) qui n’existait pas encore à cette date J.
Ce texte ne concernait au début que les IJ (Indemnités journalières) et les transports sanitaires, et il apparaissait particulièrement mal écrit et dangereux en ce sens qu’il donnait tout pouvoir aux seuls directeurs de CPAM pour placer sous tutelle de prescription un médecin, un établissement… selon des critères statistiques qui analysaient:
- Un volume total de prescriptions (ce qui est aberrant étant donné que le nombre de patients traités influe sur le nombre de prescriptions),
- Ou un volume rapporté au nombre de patients ce qui est déjà plus cohérent. Et sensible aux critiques, l’assurance maladie retient en 2023 le volume rapporté aux patients actifs.
- Et où cela se gâte, pour une « activité comparable » alors qu’il n’y a pas 2 médecins ayant une activité comparable ! Cela me rappelle le « tact et la mesure » pour les honoraires. Le législateur, sans doute dans un souci d’équité, a introduit cette restriction, mais sans la préciser. S’agit-il de la patientèle, des critères d’âge, des pathologies traitées, ou comme le pense l’assurance maladie seulement des critères sociaux-économiques de la commune ou du bassin de population à partir d’un taux INSEE de défavorisation prenant en compte le revenu fiscal médian, les taux de bacheliers d’ouvriers et de chômeurs dans la population.
Le législateur avec ces 2 mots a ouvert une brèche où la défense peut heureusement prospérer.
L’art L.162-1-15 va évoluer au cours des différentes LFSS pour s’ouvrir progressivement à l’ensemble des prescriptions.
Parallèlement les services médicaux se sont vite montrés incapables de valider une à une les prescriptions visées par la MSAP ce qui a amené le législateur à propose la MSO (Mise Sous Objectif) le professionnel acceptant le « délit statistique » potentiel, un objectif de diminution des prescriptions ciblées, l’abandon de toute possibilité de contestation juridique et une pénalité au bout si l’objectif de baisse n’est pas rempli ! En étant un peu familier on pourrait dire cocu, battu et content.
C’est l’article R.148-1 et suivants du code de la sécurité sociale créé par l’article 1 du Décret 2011-551 du 19 mai 2011 !
Depuis lors la CNAM s’est centrée sur les IJ et cible chaque année les prescripteurs les plus « étoilés » (au RIAP) dans chaque département sur le dernier quadrimestre de l’année (01/09 au 31/12), à charge aux CPAM de les entendre l’année N+1 et de leur proposer, voire plutôt d’essayer de leur « vendre » la MSO ou d’imposer la MSAP s’ils refusent la MSO.
La nouveauté de la rentrée 2023 faisant suite au « quoi qu’il en coûte » et ses excès, est qu’une fois de plus se sont les seuls médecins notamment généralistes qui sont rendus responsables de la dérive à la hausse des arrêts de travail pointée par la Cour des Compte (qui serait supérieure à 8%). Mais aussi que le ciblage a gagné 2 mois : du 01/09/2022 au 28/02/2023 et que l’entretien entre la CPAM et le médecin est devenu optionnel (uniquement à sa demande).
Cet entretien montre à la caricature l’absurdité de cette procédure ! Il est mené par le directeur ou le sous-directeur de la CPAM, secondé par un médecin conseil, alibi de traitement médical d’une procédure uniquement administrative et statistique maquillée à la manière du Canada Dry (qui est censé imiter les boissons alcoolisées sans l’être). Pour preuve, des échanges, entre médecins qui parlent médecine et des représentants de caisses qui parlent, chiffres, écarts-type, bref statistique.
La situation actuelle où seuls les médecins généralistes sont rendus responsables d’une problématique concernant plusieurs acteurs n’est pas sans me rappeler le plan JUPPÉ de 1995, et les responsables politiques d’aujourd’hui comme l’actuel ministre de l’économie feraient bien de s’en souvenir, notamment des conséquences politiques qui s’en sont suivies pour le 1er ministre d’alors pourtant applaudi à l’Assemblée nationale par des députés debout lors de la présentation de son plan sur la santé !
La Cellule Juridique de la FMF tolérerait une « régulation » de type MSO / MSAP si tous les acteurs étaient traités à même enseigne:
- Les entreprises notamment celles que je qualifierais de « toxique» et qui ont une sinistralité maladie au dessus de la moyenne. Autant pour le risque AT (Accident du travail) l’augmentation des cotisations à ce régime va réguler le risque, autant pour la maladie il n’y a aucune contrainte ni conséquence; pourtant l’assurance maladie connait ces entreprises ! Nous avons également proposé que la CNAM publie le palmarès de la sinistralité de ses CPAM, avec leur taux d’IJ comparés et adopte un système de bonus-malus.
- Le service médical des différentes CPAM avec le taux de patients convoqués à 90 et 180 jours pour les arrêts long.
- La médecine du travail qui rechigne à placer rapidement en inaptitude les salariés qu’ils savent pourtant devenus inaptes à leur poste, pour ne pas « froisser» le MEDEF et les employeurs qui devrait alors payer des indemnités de licenciement !
Et qu’en est-il sur le plan Déontologique ? MSO et MSAP limitent manifestement l’indépendance professionnelle du médecin (article 5 du code de déontologie, ce qui a amené certains CDOM (comme celui du Morbihan à s’en émouvoir) et de mon côté à interroger le CNOM dès le 20 juin 2023 par mail au Président: « …Le problème qui me fait réagir (en dehors de l’action syndicale) est que je crains que l’indépendance professionnelle des médecins se voit menacée par cette campagne de MSO si les médecins acceptent cette procédure (qu’ils peuvent refuser par LR+AR sous 2 semaines. Libre alors au directeur de la CPAM de solliciter une MSAP à la commission des pénalités) : pour ne pas être pénalisés au bout, les médecins vont limiter drastiquement les IJ prescrites à leurs patients probablement au détriment de l’interruption de travail médicalement justifiée par les pathologies dont ils souffrent ! Ce qui bien entendu pose un problème déontologique au regard de l’article R.4127-5 du code de la santé publique…»
En conclusion, vouloir régler la croissance des IJ en agissant seulement sur le médecin prescripteur, le médecin généraliste me rappelle une célèbre devise Shadok: « pour qu’il y ait le moins de mécontents possibles il faut toujours taper sur les mêmes ».
Vous trouverez ci-dessous le communiqué publié par le CNOM le 29 juin 2023 à propos de ce sujet.
Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Région Auvergne Rhône-Alpes, CELLULE JURIDIQUE FMF