L’hiver va probablement être chaud. Voire même très chaud.
La grogne monte dans les rangs des médecins, libéraux et salariés. Stagnation des honoraires, hausse des charges, coercition, passage en force du PLFSS 2023, lettre de cadrage des négociations conventionnelles très en retrait des attentes, font se lever un vent de révolte, ou même de révolution. Il est donc temps de faire le point sur les modalités possibles des actions et de la réponse que peuvent leur apporter les autorités.
Le droit de grève est réputé constitutionnel.
Il apparaît effectivement dans l’alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 :
7. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
mais curieusement n’apparaît nulle part dans la Constitution de 1958 de la Vème République.
Cependant l’arrêt du 2 février 2006 de la chambre sociale de la Cour de cassation définit la grève comme « la cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles« . Ce qui peut parfaitement s’appliquer aux médecins libéraux, même si dans les faits ils n’ont pas d’employeur.
Les seuls textes qui en parlent sont les articles L2511-1 et suivant du Code du Travail. Il n’existe donc pas de texte réglementant le droit de grève des libéraux.
Pour les libéraux
Puisque la réglementation de la grève n’existe pas, qu’ils ne sont pas salariés et qu’il n’y a pas (en théorie) de lien de subordination entre le ministère, les préfets, les caisses et les libéraux, les médecins libéraux peuvent tout-à-fait décider de fermer un, deux, dix ou trente jours pour raison personnelle, sans déclarer rien à personne.
Le souci est la participation à la PDSA qui est une mission de service public inscrite au code de déontologie.
En cas de carence de PDSA, le préfet (et seulement lui) peut réquisitionner un médecin libéral sur demande de l’ARS et proposition du CDOM (qui fournit les listes des réquisitionnables, mais uniquement les données professionnelles d’après le Code de la Santé Publique), théoriquement uniquement en cas de trouble grave à l’ordre public ou de risque grave pour la santé publique (j’ai été réquisitionné pour aller vacciner dans les vaccinodromes H1N1 de Roselyne Bachelot).
Pour être valable, une réquisition doit être
- écrite (pas par téléphone)
- nominative (pas de réquisition des « médecins d’une ville, d’un canton ou d’un département »
- détailler les horaires, le lieu, les missions, et le matériel requis (en théorie par exemple pour une mission d’effecteur mobile, si le véhicule n’est pas mentionné, on peut faire la bête et demander à être véhiculé).
- remise en main propre. Donc pas de mail, de fax ou de SMS.
Les modalités légales sont qu’elle doit être remise soit par huissier, soit par un gendarme ou un policier, soit par lettre recommandée avec accusé de réception (LRAR).
Attention il ne suffit pas dans ce dernier cas de ne pas aller chercher la LRAR à la poste. En effet, même dans ce cas, au bout de 15 jours, elle est réputée remise.
Pour échapper à une réquisition, il faut donc jouer à cache-cache avec les gendarmes (difficile quand ils se présentent en salle d’attente, mais on n’est pas obligé d’ouvrir à son domicile), ou ne se déclarer en « grève de PDSA » que moins de 15 jours avant sa garde et ne pas aller chercher les LRAR avant 2 semaines.
En théorie, le CDOM doit fournir la liste de TOUS les médecins susceptibles légalement d’être réquisitionnés. En pratique c’est souvent soit le médecin initialement prévu pour la garde ou la liste des non volontaires pour la PDSA, et ce point peut alors être susceptible d’être un motif valable d’annulation de la réquisition (cf dernier paragraphe).
La réquisition au titre de l’exercice « normal » de consultation en dehors des horaires de PDSA est donc théoriquement hors cadre. Il n’est toutefois pas impossible que le préfet prenne un arrêté de réquisition dans ce sens. Pas d’autre choix alors que de l’effectuer, quitte à l’attaquer ensuite.
Pour les salariés.
Le droit de grève est un droit constitutionnel inaliénable. Mais il existe aussi la notion de continuité du service public.
Il est extrêmement rare de réquisitionner les salariés, mais le directeur d’établissement a le droit d’assigner des salariés à leur service normal pour assurer un « service minimum ». Le service minimum est souvent difficile à déterminer, mais ce n’est en aucun cas le service « normal » avec la totalité des effectifs. Par exemple il n’est pas possible d’assigner un médecin à faire des consultations externes en dehors des services d’urgence.
Les assignations doivent, comme les réquisitions, être nominatives, détailler la mission, et remises en main propre.
Le directeur d’établissement doit avant d’assigner recenser les personnels grévistes et non grévistes et assigner en priorité les non-grévistes (quel que soit leur grade) avant les grévistes.
Les internes.
Les internes sont des étudiants en formation. A ce titre le caractère obligatoire de leur présence pour le bon fonctionnement du service n’a théoriquement pas à être retenu.
D’ailleurs la circulaire Bouquet du 12 mars 1997 adressée aux directeurs des hôpitaux conclut : « (…) Sa participation à l’activité hospitalière ne pouvant pas être considérée comme indispensable à la continuité des soins(…) Il m’apparaît au vu tant de la réglementation que de la jurisprudence que les internes ne doivent en règle générale pas être assignés au maintien du service, ou alors uniquement en dernier recours lorsqu’il a été fait appel à tous les autres personnels hospitaliers de l’établissement (…). »
En pratique : le directeur doit assigner successivement les praticiens temps plein tenus à un service de garde et dans la limite de leurs obligations de service (titulaires [praticiens hospitaliers, universitaires ou non] et attachés temps plein), puis les non grévistes, puis en dernier recours les grévistes.
(J’aurais bien aimé que ce soit déjà en vigueur quand j’étais interne en grève et systématiquement assigné)
Les MSU n’ont évidemment pas le pouvoir d’assigner leurs internes dès lors que ceux-ci ont déclarés être grévistes dans le délai légal de 5 jours.
Attaquer une réquisition ou une assignation.
C’est évidemment possible, mais en pratique jamais avant la réquisition ou l’assignation (les tribunaux refusent systématiquement les actions en référé).
Il faut donc l’effectuer, puis, si on estime qu’elle est abusive, l’attaquer au tribunal judiciaire ou administratif. Avec de bonnes chances de gagner si les prérequis n’ont pas été respectés.