La question des CPTS agite actuellement le monde de la santé .
Tandis que certains y voient la solution ultime d’accès aux soins, de qualité et d’économies, d’autres en refusent soit le principe, soit les modalités d’application, jugées liberticides tandis que la plupart des acteurs de santé n’ont qu’une idée trés floue de ce que peut être une CPTS.
Tous projettent ou parfois fantasment sur ce qu’elles pourraient devenir …
Les pouvoirs publics ont préparé l’opinion publique au changement du système de soins par de très médiatisés tirs de barrage contre les « médecins isolés », les difficultés d’accès aux soins et les déserts médicaux .
Sachant que 80 % des médecins exercent en « exercice isolé » , il est pour le moins surprenant de lancer cette charge à l’heure où la désertification n’a pas encore atteint son pic.
Que peuvent alors amener les CPTS dans un climat déjà tendu, aussi bien à l’intérieur de la profession, qu’entre professionnels de santé ou entre professionnels et institutions.
Pour les pouvoirs publics, et conformément au discours du président de la République, c’est clairement le moyen de rétablir un maillage territorial progressivement déshabité depuis des décennies tout en instaurant un système s’affichant comme transparent, vertueux et potentiellement moins coûteux à terme.
On ne discutera pas ici des racines profondes du mal, le numérus clausus, la perte d’attractivité, l’incurie politique qui a refusé d’entendre les alertes lancées il y a pourtant bien longtemps , pour se limiter au strict sujet des « CPTS or not CPTS ».
Deux conceptions s’affrontent :
1/ CPTS des usines à gaz liberticides et chronophages :
Premier reproche : il s’agit d’une organisation de soins à faire labelliser par l’ARS. Mais aussi :
- perte de la liberté de choix : du patient par le médecin (difficile de prendre en charge des patients en l’absence d’une relation de confiance, qui ne peut s’imposer), mais aussi du médecin par le patient
- missions obligatoires : SNP (Soins non programmés), PDSA (Permanence de soins ambulatoire), continuité des soins, prévention, mission sociale
- nouvelle frappe des indicateurs multiples et à géométrie variable
- utilisation d’outils numériques communs et labellisés
- Dilution du concept du soin dans l’organisation du soin , du médecin dans les professionnels de santé, transformation du métier de médecin en manager
- Inquiétude quant aux relations avec les établissements hospitaliers ou GHT (Groupements hospitaliers de territoire)
- Perte de temps de soin en raison de fortes contraintes administratives : restitution des indicateurs, gestion, réunions en tous genres, écriture du projet médical
Par ailleurs , la phase initiale reste obscure et le passage d’un fonctionnement traditionnel à cette usine à gaz est difficile à concrétiser.
Les médecins ont trop de travail , et on peut voir dans ce nouveau mode organisationnel, non seulement l’obligation de travailler encore davantage, mais aussi celle de rajouter un autre métier à celui du soin : celui de la gestion administrative, le tout sous le joug des caisses, avec lesquelles les relations ne sont pas au beau fixe après des années de défiance .
Les médecins ont trop de travail, dit autrement les médecins ont beaucoup de travail et même de plus en plus, et l’absence d’évolution de leur organisation ne leur permet plus d’absorber cette charge supplémentaire, d’autant qu’ il n’y a aucune incitation à le faire, voire même des sanctions par les caisses en cas d’activité « inhabituelle » .
Les démonstrations de force de certaines ARS ou CPAM ont été parfaitement contre-productives, judiciarisant les relations, ce qui n’est pas la meilleure façon de susciter l’enthousiasme.
Ils maitrisent alors la charge d’activité en limitant la file active de patients, seule variable d’ajustement permettant de ne pas altérer la qualité de l’acte .
Par ailleurs, les nombreuses et itératives « erreurs » des caisses impactent lourdement la confiance qu’il faudrait avoir quant au respect des engagements financiers, autant que l’insuffisance notoire d’intéressements aux économies substantielles générées par les changements de pratiques ou les groupes qualités .
Les pro CPTS voient les choses différemment.
2/ la CPTS, outil organisationnel
La CPTS, en dotant les professionnels qui l’acceptent de moyens organisationnels, leur permettra d’optimiser leur temps de travail en dégageant le médecin de tout ce qui est actuellement chronophage et le contraint à restreindre l’activité pour ne pas crouler sous les charges secondaires à la prise en charge, en particulier de patients complexes :
- Assistant médical accueillant les patients, faisant un tri selon les consignes des médecins responsables
- coordonateur gérant les indicateurs, les budgets et les relations avec les institutionnels
- outil numérique de coordination permettant de solliciter instantanément des structures type PTA, ou demander un deuxième recours ou encore solliciter les services sociaux ,le tout en quelques clics, par le médecin ou son assistant.
- Agendas partagés (inclus dans l’outil de coordination) permettant de proposer à tout moment des créneaux libres de professionnels médicaux ou para médicaux au sein de la CPTS (créneaux fournis sur la base du volontariat, associé à une régulation libérale, ça devient une des solutions aux Soins Non programmés )
Quant aux missions socles, l’obligation d’attribution d’un médecin traitant a été supprimée, la diminution du nombre de patients sans médecin traitant reste un indicateur, les autres font peu ou prou partie de l’exercice habituel, mais deviennent prioritaires dans l’organisation.
Les négociations conventionnelles sur l’ACI ont pour objet de donner un cadre à cet exercice coordonné et d’en donner les premières enveloppes. Comme souvent, elles ne sont pas à la hauteur des enjeux , l’assurance maladie rechignant à signer des chèques en blanc, et les médecins exigeant des garanties. Donc, ça piétine.
Néanmoins, Nicolas Revel a significativement augmenté les moyens mis à disposition, sous la pression des syndicats et du Ministère qui a besoin de voir ces CPTS se mettre en place pour tenir ses engagements.
Si le cadre actuel des CPTS n’est pas parfait, il a au moins le mérite d’inciter les professionnels à se parler entre eux , de faire bouger les lignes et s’interroger sur sa propre activité :
- Qu’est ce que j’aimerais mettre en place ou voir se mettre en place ?
- Qu’est ce qui me motiverait pour modifier mon organisation ?
Partout où les CPTS ont commencé à se former, on trouve des « porteurs de projet » , des praticiens qui ont envie de faire différemment, mieux et qui se lancent .
Dans une perspective pragmatique pure, sans militantisme, qu’est ce qui s’oppose à prendre l’initiative d’organiser des rencontres avec les professionnels de nos communes, « nos territoires », afin d’une part de mettre en commun les difficultés et besoins, et d’autre part , chercher des pistes pour améliorer, non seulement l’accés aux soins et leur pertinence, mais notre propre qualité de vie et de travail.
Dès ce niveau , un accompagnement peut être mis en place en sollicitant soit l’ARS, soit l’URPS , sur le diagnostic territorial par exemple.
Ces échanges sont la base d’une construction commune, ils permettent l’appropriation de ce concept toujours un peu fumeux « d’exercice coordonné » et seront bien plus enrichissants sur les possibilités d’un travail commun que les grands-messes de supposés experts .
Ils nécessitent du temps, des moyens, c’est vrai, mais pas nécessairement des connaissances techniques sur les CPTS, que personne n’a vraiment .
Il existe dans plusieurs régions des modèles intéressants, bâtis sur la concertation, les besoins locaux et communs, et on peut s’en inspirer, mais chaque territoire étant différent, les CPTS seront toutes différentes .
Si la définition du cadre se fait actuellement au niveau national, leurs fonctionnalités, leur versant opérationnel, leur animation ne pourra être issue que du terrain.
Ouvrir un espace de liberté tarifaire eût sans doute été un signe fort de la part des pouvoirs publics à l’égard d’une profession malmenée, inquiète et abattue, qui pour l’instant lève les yeux au ciel et se détourne à la seule évocation de nouvelles obligations.
Le choix du passage en force a été fait, il faudra, à un moment ou un autre, en assumer les conséquences ; l’hostilité des médecins en est une et pas des moindres .
La tentation est grande pour de nombreux confrères de « jouer la montre », mais les autres professionnels de santé attendent ces organisations et il serait vraiment dommage de prendre le train en marche plutot que mener la voiture de tête .