Comment se déroule une négociation conventionnelle, telle que la conçoit la CNAM ? Et surtout peut-on véritablement parler de négociations ? Prenons donc en exemple la dernière séance sur l’avenant 9, qui a eu lieu mercredi 25 novembre 2020.
Il s’agissait de la 4ème et a priori dernière séance de négociation réunissant les représentants de l’UNCAM et des syndicats représentatifs (hors CSMF qui s’est retirée).
C’est un gros chantier, puisque l’avenant 9 sera, selon la mauvaise habitude de la CNAM, un avenant « fourre-tout ». Il faut examiner en deux heures rien moins que 6 gros chapitres résumés sur les 32 pages de la présentation PowerPoint de la CNAM … que selon son autre mauvaise habitude cette dernière ne s’est pas donné la peine de communiquer aux syndicats.
Aucun moyen donc d’étudier à l’avance ces propositions … donc de les analyser … donc de faire d’autres propositions … donc de négocier !
D’autant que le temps est trop court pour faire autre chose que d’écouter et à peine faire quelques remarques à la marge !
Mais il est vrai que la CNAM avait fait des efforts de concision, la présentation de la séance du 14/10/2020 comportait 51 pages ! découvertes bien évidemment aussi en séance.
Cette manière de faire dénote d’un profond mépris pour les libéraux, puisque la parole et la possibilité de proposition leur est ainsi confisquée. On pourrait même dire que c’est à la limite de la régularité ; le règlement intérieur des commissions paritaires stipule en effet :
1.2 – Organisation des réunions des commissions
Les convocations sont adressées, par mail, par le secrétariat aux membres de la commission au moins quinze jours avant la date de la réunion, sauf urgence acceptée par le président et le vice-président.
Elles sont accompagnées de l’ordre du jour établi après accord de ces derniers ainsi que des documents utiles, le cas échéant, à l’examen des sujets qui y sont inscrits.
Même si on peut nous opposer que les négociations conventionnelles ne sont pas stricto sensu des commissions paritaires, on peut quand même penser qu’elles sont au moins aussi importantes et devraient bénéficier de la même réglementation. Mais il est vrai aussi que même pour les Commissions Paritaires Nationales la CNAM n’envoie jamais à l’avance les documents qui seront étudiés lors de la Commission.
Attaquons donc maintenant l’analyse des « propositions » que la CNAM propose de « négocier ».
1 – le SAS : le Service d’Accès aux Soins, cher au président Macron, donc à Olivier Veran, et donc à la CNAM.
Cette partie de l’avenant 9 a est il vrai déjà fait l’objet d’une séance le 12/11/2020. On pourrait donc presque dire que les conditions d’une négociation sont réunies puisque les syndicats ont pu analyser les premières propositions et faire part de leurs observations.
Le moins qu’on puisse dire est que ça ne déclenchait pas l’enthousiasme.
Et bien depuis le 12/11 il n’y a eu aucune avancée sur les points d’achoppements principaux soulevés par la FMF :
- Une nécessité de régulation libérale qui ressemble en fait furieusement à un salariat déguisé, prenant même en charge les charges sociales ;
- L’adossement du SAS aux CPTS … qui ne sont actuellement pas dimensionnées pour ce travail ;
- Le parcours de soins, pourtant aussi cher à la CNAM, est totalement contourné ;
- Les SNP (Soins Non Programmés) selon la CNAM ne concernent pas les patients dont le médecin est médecin traitant (!!) ;
- Paiement des effecteurs de façon forfaitaire, avec donc au moins 6 mois de décalage et pas de contrôle facile possible.
La CNAM reste « droit dans ses bottes », sûre de ses propositions. Elle a tout juste consenti à revoir à la marge cette rémunération forfaitaire, en la découpant en 5 tranches au lieu de 3 et en relevant le plafond de 75 à 100 actes par trimestre pour une rémunération maximale de 800 €. Vous pouvez en faire plus … mais vous ne serez pas payés plus.
Le chapitre mentionnant une prise en charge des outils nécessaires (agendas partagés notamment) a disparu du diaporama (la concision vue par la CNAM, c’est supprimer des pages, pas résumer …), mais M. Fatome a assuré que c’était toujours « acté ».
Cette organisation du SAS reste donc toujours inacceptable pour la FMF, en particulier aussi du fait de sa complexité, alors que les médecins réclament tous plus de simplicité et de lisibilité.
2- Télésanté : un peu de simplification.
L’autre cheval de bataille de la CNAM et du gouvernement, c’est de promouvoir la Télémédecine comme LA solution à la pénurie médicale.
Si la crise COVID a bien aidé à faire décoller les téléconsultations pour lesquelles on a assisté à un véritable boum, les choses sont beaucoup moins évidentes pour les télé-expertises.
Et alors magiquement la CNAM se rend enfin compte que les choses sont beaucoup trop compliquées, et accepte enfin de les simplifier (on se demande seulement pourquoi cette évidence de besoin de simplicité ne lui apparaît pas pour le SAS …).
On arrive donc au paiement à l’acte (enfin) pour le médecin requis et le médecin requérant. Avec une unification des tarifs : TE1 et TE2 disparaîtraient pour un tarif unique de 20 € pour le requis et de 10 € pour le requérant. Ce qui commence effectivement à ressembler à quelque chose.
Et enfin on élargit la population concernée à toute la patientèle, sans la limiter aux EHPAD, prisonniers, ZIP et ALD.
Mais bien évidemment des restrictions apparaissent :
- un seuil maximal d’activité de télémédecine (téléconsultation + téléexpertise) à hauteur de 20% de l’activité annuelle par médecin (pour empêcher une professionalisation vers la télémédecine)
- un maximum de deux téléexpertises par an et par patient. Alors que l’avenant 6 en permet actuellement 6 !
Ce dernier point est tout à fait surprenant : pourquoi brider ainsi les téléexpertises sous prétexte de les développer ? On aurait pu à la rigueur comprendre 2 par an et par pathologie (ou expert requis), ce que nous avons d’ailleurs demandé. Nous avons aussi demandé l’élargissement aux téleexpertises conjointes, en particulier pour les RCP (Réunions de Concertation Pluridisciplinaires). La CNAM a promis … d’y réfléchir.
L’autre point obscur à éclaircir c’est : quel mode de facturation ? EXO 3 ? ou pas ? L’EXO 3 serait évidemment un plus de simplification.
3 – DMP : enfin ils mettent la main à la poche !
Encore un bébé chéri de la CNAM et du gouvernement … mais boudé par les médecins.
La CNAM considérait jusqu’à présent que l’alimentation du DMP était un devoir déontologique, et sa rémunération largement couverte par le Forfait Médecin Traitant.
L’échec évident de cette politique lui fait réviser un peu sa manière de voir. Et elle fait donc des propositions qui tiennent comme toujours de l’usine à gaz :
- Pour les généralistes : développer l’alimentation du VSM (Volet Médical de Synthèse) dans le DMP -> Paiement forfaitaire :
- 1500 € si le médecin fait la moitié de sa patientèle ALD
- 3000 € si le médecin fait l’ensemble de sa patientèle ALD d’ici fin 2022
- 20% en plus si plus de 50% des VSM sont structurés
- Pour les radiologues
- Objectif : au moins 100 CR alimentés par mois -> Forfait de 700 € par an
- Objectif : au moins 100 pointeurs image par an à partir de 2022 ->Forfait de 700 € par an
- Pour tous les médecins, un forfait de 400 € pour les usages
- 2021 : MSS (600 messages par an) + alimentation d’au moins 300 documents DMP par an
- A partir de 2022 et 2023 : idem 2021 + ePrescription (taux de prescription électronique en fonction du nombre de FSE) et apCV (X% de ses FSE avec une ApCV)
- 2021 : MSS (600 messages par an) + alimentation d’au moins 300 documents DMP par an
Alors décryptons un peu :
Pour le VSM dans le DMP : c’est toujours mieux que rien, comme actuellement. Mais cette manie des paiements forfaitaires sera encore délétère :
- 2 paliers seulement, et le palier 100% évidemment inaccessible : il restera toujours un, deux ou cinq patients en ALD qui n’auront pas de VSM. Donc les médecins se contenteront du palier 50% …
- Et cette manière de faire désavantage évidemment les médecins qui ont beaucoup de patients âgés, donc de patients en ALD. Le même forfait leur demandera beaucoup plus de travail …
- Enfin comme d’habitude aucune visibilité sur la manière dont sera versé ce forfait, ni quand. Les médecins proches de la retraite risquent fort de ne jamais le toucher.
Ensuite qu’entend la CNAM par « VSM structuré » ? Si on rédige un VSM il est forcément structuré, autrement ce n’est plus un VSM. Le problème viendra plutôt du caractère non-structuré du DMP qui n’est toujours qu’un entassement de documents PDF …
Pour les radiologues, vont-ils vraiment être motivés par un forfait représentant moins de 1‰ de leur chiffre d’affaire annuel ? pas sûr …
Pour les MSS (Messageries Sécurisées de Santé) nous voudrions bien être sûrs que la CNAM n’amalgame pas encore une fois MSS et Mailiz mais qu’Apicrypt compte aussi ; et que le nombre de 600 messages par an couvre aussi bien la réception que l’émission.
Quant à la e-Prescription : non rien, il vaut mieux en rire … après avoir été fixée comme obligatoire en 2020, puis 2022, l’échéance est repoussée à 2024 … mais toujours sans aucun outil fonctionnel à ce jour, ce qu’on appelle mettre la charrue avant les bœufs.
Et la apCV ? vous êtes comme moi, vous ne savez même pas ce que c’est ? c’est la CV dématérialisée dans le smartphone des patients. On voit bien l’intérêt pour la CNAM et l’ASIP (plus besoin d’éditer les CV), moins pour les médecins, qui devront s’équiper de nouveaux lecteurs de CV compatibles (et coûteux), alors même qu’on vient ENFIN de pouvoir utiliser, après des années d’attente, de lecteurs PCSC nativement USB, rapides et peu coûteux.
4 : Nomenclature : un autre gros chapitre à découper en plusieurs sous-chapitres
La revalorisation des visites.
C’est là LE scandale absolu de cette séance de « négociation ».
Tout part du constat que la visite à domicile est aussi boudée par les médecins : compliquée, chronophage, non rentable. Pourtant le président Macron a donné consigne de favoriser le maintien à domicile ; il faut donc inciter les médecins à en faire.
Le 14/10, ça n’avait pas mal commencé, la CNAM avait offert
- La visite longue (VL) pour les sorties d’hospitalisation des patients de plus de 75 ans.
- Elargissement des indications de la VL pour maintien à domicile des plus de 75 ans en ALD, à raison toujours de 3 par an
- Revalorisation de la Majoration de déplacement à 20 € pour les ALD ou les personnes âgées de plus de 85 ans
- L’ouverture de la VL aux gériatres non Médecin traitant ainsi que la MD
Il ne manquait plus que la revalorisation des IK (toujours au même tarif ridicule inchangé depuis le 20ème siècle !) pour avoir quelque chose qui tenait la route, malgré la complexité de devoir compter les VL.
Et patatras, le 15/11, plus de VL. La CNAM revient sur ses propres propositions (qu’évidemment personne n’avait refusées) et offre maintenant :
- Création d’une visite gériatrique pour les patients de plus de 75 ans en ALD (dans la limite de 3 par an) valorisée à 40 euros + 10 euros de MD, soit 50 €
- Revalorisation de la Majoration de déplacement pour les patients de plus 85 ans à 15 euros (augmentation de 5 euros), hors VL 40€ pour une visite à domicile
- L’ouverture de la VL aux gériatres
Donc ils proposent MOINS ! et plus complexe puisqu’il faudra gérer une nouvelle lettre-clé, et une MD différenciée en fonction de l’âge et de l’acte. Et la possibilité de MD pour les gériatres a disparu dans l’affaire.
M. Fatome nous traite vraiment là par le mépris !
Les mesures pour les pédiatres :
Là encore M. Fatome est moins-disant. Le 14/10 il proposait de revaloriser les 3 majorations NFP, NFE, MEP. Le 15/11 on ne parle plus que de la NFP ! pour un montant supérieur certes, mais évidemment une cible beaucoup plus réduite.
Et il propose comme piste la CTE (Consultation de dépistage des Troubles du spectre autistique) qui est DEJA en place depuis plusieurs mois. Il consent il est vrai du bout des lèvres à y rajouter une consultation de mise en place de la thérapeutique, et une consultation préalable à l’entrée en institution.
Bref du saupoudrage et de la poudre aux yeux.
Pour les autres spécialités, les psychiatres (qui n’ont pas droit à la MCU) verraient la consultation d’urgence passer de CNPsy 1,5 à CNPsy 2, les endocrinologues obtiendraient une revalorisation de la MCE qui passerait du statut de Consultation Complexe à celui de Consultation Très Complexe, les rhumatologues et les gynécologues une majoration de 1 € de la MPC (rappelons-nous pour rire que le P de MPC veut dire Provisoire … du provisoire qui dure depuis 2011 !) et ces derniers aussi la possibilité de coter ensemble la colposcopie et la consultation, mais cette dernière à demi-tarif ! On brade l’acte intellectuel !
Bref encore du saupoudrage et de la poudre aux yeux, même si on ne peut qu’accueillir favorablement toute revalorisation pour les spécialités cliniques, qui sont les plus à la traîne dans l’échelle des revenus.
CCAM dans les DROM : elle serait revalorisée de 5%, c’est un début … à comparer aux actes NGAP qui sont majorés de 20% outre-mer.
Nouveaux tarifs pour les actes de cytologie de dépistage du cancer du col de l’utérus avec l’intégration de la détection du génome HPV. Super ! Mais à quand l’actualisation de la ROSP ? M. Fatome votre définition à ce sujet est totalement dépassée !
Mesures pour les personnes vivant avec un handicap : la seule vraie bonne surprise de ce document : la possibilité de faire payer 60 € pris en charge par l’assurance maladie pour le remplissage des dossiers MDPH. Là on ne peut qu’applaudir.
5- OPTAM
1% de plus pour la majoration K des actes chirurgicaux concernés
1% de plus pour la prime OPTAM
C’est toujours bon à prendre mais ne changera pas la face du monde. Surtout que l’OPTAM creuse les inégalités territoriales et accentue les déserts médicaux. Et n’est finalement pas valable dans un bon nombre de cas et de régions à faible dépassement.
6 – Biosimilaires :
Une mesure très marginale puisque ça ne concerne que quelques produits à prescription majoritairement hospitalière. Mais pourquoi ce partage indigne des économies à 80% pour l’AMO et 20% pour les prescripteurs ? L’équité exigerait un partage équitable du bénéfice.
Pour les généralistes, le seul produit concerné est le Lovenox®. Mais qui très majoritairement est prescrit en post-opératoire, donc par les anesthésistes ou les chirurgiens.
Alors au final ?
Vous comprenez bien que toute cette analyse, longue et complexe, ne peut pas se faire au fil de la découverte des propositions de la CNAM, dans un laps de temps restreint.
Dans les faits la CNAM propose impose ses vues, rajoute de la complexité, rogne sur ses propositions, et attend qu’on applaudisse et qu’on signe.
Et elle ne se prive pas de calculer a priori le montant de son offre (500 millions ! rendez-vous compte !) et de communiquer largement auprès de la presse professionnelle, pour faire pression sur les syndicats.
Elle oublie juste de dire que ce serait le montant maximal si tout était appliqué à la perfection. Ce que la surcomplexité du dispositif interdit.
Rappelez-vous que le montant théorique des revalorisations de la convention 2016 était de 1,3 milliards par an. En réalité, le bilan que j’avais effectué montrait que sur ces 1,3 milliards annuels promis par la CNAM, on peut estimer que seuls les 2/3 soit 860 millions ont trouvé le chemin des libéraux, dont 285 millions proviennent des économies faites sur la cotisation assurance maladie des médecins secteur I, et 104 millions des économies sur leur compensation de CSG.
Alors pour cette fois-ci on peut plus raisonnablement tabler sur 330 millions.
La moindre des choses serait de pouvoir couper cet avenant en 6 avenants distincts, pour ne pas être obligé de signer ou rejeter tout en bloc. Car il y a quand même une ou deux pistes intéressantes … mais couplées à des dispositions inacceptables.
M. Fatome, ce serait tout à votre honneur de le faire. Même s’il faut bien aussi reconnaître, à votre décharge, que vous êtes fort bridé aux entournures par la lettre de cadrage qu’Olivier Veran a publiée avant le début des « négociations » pour fixer les choses.