Mission de l’IGAS sur l’évaluation de la généralisation du tiers payant,
Audition de la Fédération des Médecins de France
Jeudi 7 septembre 2017, Ministère des Solidarités et de la Santé
IGAS :
Emilie Fauchier-Magnan, Louis Charles-Viossat
FMF :
Dr Jean Paul Hamon, Dr Florence Zemour
La généralisation du TP a été voulue par le législateur en 2016 dans un souci d’amélioration de l’accès aux soins. Certaines études, comme par exemple l’Enquête Santé et Protection Sociale (IRDES 2012), ont montré que l’avance des frais n’est pas le seul motif de renoncement aux soins pour cause financière ; néanmoins, le législateur a préféré utiliser cet argument comme alibi pour imposer le TPG comme un marqueur politique de justice sociale.
Nous souhaitons réaffirmer ici notre opposition au principe du tiers-payant systématique et au caractère obligatoire sous-tendu par sa généralisation.
Les médecins sont attachés au principe du tiers payant dit “social”, c’est-à-dire adapté à la situation du patient, et si le patient a des difficultés financières, font déjà, et ce depuis bien longtemps, la dispense d’avance des frais sur la part AMO, notamment pour les patients présentant une ALD.
Les médecins pratiquent également le TP intégral légal chez les patients bénéficiaires de la CMU, de l’AME (malgré les difficultés techniques réelles liées à l’absence de carte vitale chez ces patients) et les patient en AT-MP.
Les raisons de notre opposition sont bien connues des rédacteurs du rapport de l’IGAS 2013 sur le TP car elles y sont rappelées dans leur dimension historique : il s’agit de préserver notre indépendance professionnelle et de ne pas dépendre des financeurs dans l’exercice de notre profession. Veuillez noter que, dans ce cadre, la comparaison avec les autres professions de santé n’est pas pertinente car nous sommes la principale profession habilitée à prescrire, il est donc légitime de penser que si “celui qui paye, décide”, les organismes d’assurance maladie auront plus de facilité à exercer des pressions afin de réduire le volume de nos prescriptions.
Nous refusons que notre exercice soit dicté par une logique économique, et réaffirmons ici que notre indépendance professionnelle, telle qu’elle est prévue par notre code de Déontologie (art 5), mais également par le code de la Sécurité Sociale (Art L162-2), est garante de la qualité des soins délivrés à nos patients.
Nous nous interrogeons également sur le réel souci du législateur d’améliorer l’accès aux soins qui serait freiné pour des motifs financiers, quand celui-ci envisage le prélèvement direct des franchises médicales sur le compte bancaire de l’assuré, pour des montants allant jusqu’à 50 euros par personne et par an.
À propos du TP sur la part AMO que nous pratiquons régulièrement, de façon adaptée à la situation de nos patients (qu’ils soient en ALD ou pas), nous demandons des garanties afin que la loi telle qu’elle est écrite actuellement soit respectée. En effet il n’existe pas pour le moment d’obligation à effectuer le TP pour un médecin. Mais nous avons constaté que des moyens pernicieux pouvaient être utilisés pour pousser le médecin à pratiquer progressivement le TP :
- les éditeurs de logiciels médicaux ont la possibilité de paramétrer à l’avance un TP sur la part obligatoire en fonction des droits des patients lus sur la carte vitale (et confirmés après consultation du service ADR). Nous demandons à ce que figure dans le cahier des charges des éditeurs l’absence de paramétrage automatique qui obligerait par défaut le praticien à pratiquer le TP, ceci pour être en conformité avec l’absence d’obligation prévue par la loi.
- Pour les patients bénéficiaires de l’ACS, si le TP sur la part AMO est un droit, rien n’oblige le praticien à le pratiquer sur la part AMC : en effet, le cahier des charges ACS prévoit que les OC doivent être capables de pratiquer le TP, le décret n° 2015-770 du 29 juin 2015 en détaille les conditions d’applications “pour les professionnels qui souhaitent bénéficier d’un interlocuteur unique”, le Conseil Constitutionnel a rendu caduque l’obligation de TP sur la part AMC, et la Convention médicale 2016 nous demande de le proposer. Néanmoins nous avons constaté que certaines mutuelles mettaient en place des obstacles au remboursement de la part AMC au patient lorsqu’il a réglé celle-ci à son médecin (intimidation téléphonique, demande de justificatif papier en plus de la facturation électronique). Nous demandons donc des garanties afin que le remboursement au patient de la part AMC soit faite dans des délais raisonnables et de façon facilitée pour le patient.
Si le sujet d’aujourd’hui est de trouver des solutions techniques permettant d’améliorer l’accès aux soins par le biais d’une dispense d’avance des frais, tout en respectant l‘indépendance professionnelle des médecins, nous proposons plutôt que la généralisation du tiers payant AMO et AMC, le recours à une carte de paiement de type “carte avance santé” :
- Carte de paiement utilisable uniquement pour les dépenses de santé,
- Carte de paiement utilisant les terminaux de CB uniquement pour les professions médicales,
- Le patient n’est pas débité mais le praticien est payé immédiatement,
- Le patient est remboursé par l’AMO puis l’AMC,
- Le remboursement du patient déclenche automatiquement le débit sur son compte bancaire.
Ce moyen de paiement a été développée par le groupe CIC crédit mutuel, actuellement plusieurs centaines de milliers de personnes l’utilisent.
L’avance est réalisée par l’assureur auquel est adossé la mutuelle,
Le risque financier pour lui est minime, le débit sur le compte du patient est automatique au bout de 45 jours après le paiement initial.
Le coût de mise en service à grande échelle serait minime car ne comprendrait que les frais d’émission des cartes, dégressifs, qui pourraient être autofinancés par les commissions prélevées à chaque transaction, au bénéfice des émetteurs de carte.
L’avantage de cette solution est qu’elle ne nécessite pas de déploiement technique spécifique car elle utilise le réseau déjà existant des paiements par carte bancaire.
Elle présente donc un triple avantage :
- Respect de la relation triangulaire entre le patient, l’assureur et le praticien, garantie de son indépendance professionnelle,
- Facilité de trésorerie pour le patient qui est remboursé avant d’être débité, équivalente à une dispense d’avance des frais intégrale,
- Solution économique pour le praticien (versus coût du TP en centre de santé de 4,38 €/acte en moyenne) et pour les organismes d’assurance maladie, par l’absence de solution spécifique à développer. La seule contrainte est d’équiper tous les médecins de terminaux de CB.
Si cette solution, acceptable sur tous les plans et pour toutes les parties, n’attirait pas l’attention de Mme la Ministre, nous serions raisonnablement en droit de nous interroger sur les véritables motivations de la mise en place du TPG.
La FMF demande à Mme la Ministre de renoncer à la généralisation et à l’obligation du TP, et de laisser le choix au médecin de le pratiquer ou non, par tous les moyens et pour toutes les raisons évoquées ici.
Pour la FMF,
Dr Jean-Paul Hamon, Dr Florence Zemour.