« si la Santé n’a pas de prix, elle a un coût ! » précisait le Premier Ministre socialiste Michel ROCARD et « mon ennemi c’est la Finance » renchérissait plus tard le Président François HOLLANDE.
Même si les pouvoirs publics sont toujours prompts à reprocher aux professionnels de Santé, le coût des soins, ils n’évaluent jamais les économies engendrées par la guérison plus rapide et le retour dans l’appareil productif des salariés bénéficiant de leurs soins.
Le domaine de la santé est particulier, et ses entreprises n’ont pas comme objectif prioritaire la rentabilité, même si l’équilibre financier est important pour la pérennité du système, et qu’elles ne doivent pas dépenser au delà du budget qui leur est alloué, chaque année, par les parlementaires au niveau de l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie).
La logique managériale classique des entreprises n’est pas adaptée à celles du domaine de la santé, et on a pu voir ses limites dans le secteur de l’hospitalisation aussi bien publique que privée : crise de l’hôpital public, des urgences, fuite du personnel, sélections des actes en fonction de leur rentabilité, concentration par quelques groupes …
Mais lorsque le financement public ou celui personnel des professionnels de santé n’arrivent plus à couvrir les besoins, c’est un appel d’air pour les capitaux privés qui s’engouffrent sur ce marché sûr, même si la rentabilité reste modérée (pas étonnant que nous y retrouvions des fonds de pension notamment US).
On a pu l’observer en France dans les cliniques privées, les laboratoires d’analyses médicales et aujourd’hui dans des secteurs comme la radiologie ou l’ophtalmologie. D’autant que la loi le permet dans le cadre des SELAS (société d’exercice libérale à actions simplifiées), même si la déontologie reprise dans le code de la santé publique précise que « la médecine ne doit pas être exercée comme un commerce » (art R4127-19 du code de la santé publique) et que « le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. » (art R4127-5 du même code) ! Côté ordinal, nous sommes en attente d’un Guide des statuts type de l’exercice en SELAS rédigé par le CNOM à la manière de celui pour les SELARL.
L’ordonnance 2023-77 du 08/02/2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées (SELARL, SELAS, SCP, SEP, SCM, SPFPL) a été publiée au Journal Officiel le 9 février 2023 et vient abroger à effet du 1er septembre 2024 :
- La loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles,
- et la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL).
Dans une SELAS l’investisseur externe non professionnel ne peut détenir plus de 25% des parts du capital de la société, ce qui est censé garantir l’indépendance professionnelle des médecins. C’est un apport de financement utile aux investissements lourds et un complément de retraite pour les professionnels arrêtant leur activité. Mais cela impose la tutelle de ce tiers externe aux jeunes entrants dans la société à qui il est généralement promis une valorisation très importante d’un apport limité au capital.
Par ailleurs le tiers externe, même s’il ne détient que 25% du capital, à la possibilité de contrôler la société au travers de statuts et d’un comité stratégique imposant son avis pour les orientations, la direction, ou la captation de la quasi totalité des dividendes et de leur utilisation (99,9% pour une société de radiologues du Rhône qui a fait l’objet d’une 1è radiation du tableau par le CDOM, radiation provisoirement suspendue par un référé en CE ). On peut s’interroger sur le fléchage de ces dividendes qui devraient être plutôt réinvestis dans la société que distribués aux actionnaires !
Les tenants de ces solutions, comme le cabinet d’avocats Winston & Strawn pensent que la « financiarisation » doit être dé diabolisée tant « cette pratique revêt une multitude de bénéfices, dont le patient constitue le tout premier destinataire » mais également les professionnels qui se voient déchargés de toutes les contraintes administratives et financières et peuvent se consacrer pleinement aux soins.
Le débat est important chez les radiologues avec des choix « d’âge », entre les plus anciens qui y voient l’opportunité de partir en retraite avec un bonus et des jeunes plus inquiets pour leur indépendance professionnelle même s’ils sont demandeurs d’une simplification administrative et managériale de leur entreprise.
Une solution alternative pourrait être le développement de GIE (Groupement d’Intérêt Économique) associant public et privé afin de MUTUALISER à la fois les autorisations d’installation de matériels lourds par l’ARS, les investissements et l’utilisation plus large sur la journée de ces matériels.
A titre personnel, je pense que les risques de la financiarisation l’emportent largement sur ses avantages, et que la loi devrait revenir sur l’interdiction de participation au capital des SEL des non professionnels de santé. Je partage ainsi l’avis du Dr Pierre-Jean TERNAMIAN, radiologue, qui écrit dans le dernier numéro du journal de la FNMR (Fédération Nationale des Médecins Radiologues) « Le Médecin Radiologue Libéral » (473 de janvier 2024) : « …Les radiologues libéraux doivent impérativement garder la maîtrise de leur outil de travail pour éviter de devenir de simples « salariés » dans des structures qui privilégieront le profit et la rentabilité aux impératifs de santé publique… »
Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Région Auvergne Rhône-Alpes, CELLULE JURIDIQUE FMF
PS 1: Heureux de constater au Café FMF du 01/02/2024 que le Sénateur Bernard JOMIER partage cette analyse en pensant qu’il s’agit d’un sujet primordial pour les médecins et l’avenir de leur exercice indépendant.
PS 2: Les experts comptables ont montré la voie et la Cour de Cassation leur a donné raison Civ. 1re, 6 févr. 2019, n° 17-20.463).et Civ. 1re, 6 avr. 2022, n° 21-12.045. Dans cet arrêt, la Cour de Cassation a considéré qu’un contrat conclu en violation d’une règle de déontologie peut être annulé par la juridiction civile dès lors que le contenu de ce contrat est, en conséquence de cette violation, entaché d’illicéité.
Pour aller plus loin, consultez l’excellent article sur le sujet rédigé par Maître Laurent HOUDART (Houdart & Associés Avocats) La lettre de l’exercice libéral 2024 à :