Normalement le 30/09/2022 la majoration SNP (pour la prise en charge des soins non programmés des patients hors patientèle médecin traitant) tire sa révérence.
Normalement, parce que depuis deux ans la CNAM et le Ministère de la Santé virevoltent dans leur gestion de la médecine libérale, et qu’on ne sait jamais très bien où on en est, ni surtout pour combien de temps.
Il va donc être temps de faire le bilan de cette mesure phare de la mission flash sur les urgences de l’été 2022, censée fortement inciter les médecins (généralistes) libéraux à prendre en charge les soins non programmés pour décharger les urgences hospitalières, mais sous réserve expresse de régulation par le SAMU ou le SAS.
Je ne résiste pas au plaisir de vous remettre le bilan fait par la CNAM elle-même sur les 7 premières semaines de la mesure.
Soit 3230 majorations SNP par semaine, ce qui était très « décevant » pour la CNAM.
Mais pour autant, est-ce que ça veut dire que les médecins libéraux ne prennent pas en charge les soins non programmés ou que le démarrage de la mesure était juste laborieux ? La FMF UG a donc décidé d’interroger directement les médecins libéraux de terrain, en prenant comme critère leur activité réelle et pas seulement les majorations SNP facturées. Nous avons d’ailleurs décidé d’y intégrer aussi les majorations MRT, qui se facturent exactement dans les mêmes conditions de régulation préalable, mais pour les patients de la patientèle médecin traitant, et qui existent depuis la convention 2016.
Vous avez été très nombreux à répondre et nous vous en remercions ! Les résultats seront mis à jour régulièrement, vous pouvez encore répondre !
Du 5 au 11/09 | Du 12 au 18/09 | Du 19 au 25/09 | Total | |
Actes par médecin | 106,69 | 108,92 | 113,08 | 108,89 |
SNP par médecin | 24,15 | 26,39 | 26,06 | 25,34 |
Majoration SNP ou MRT par médecin | 0,43 | 0,36 | 0,28 | 0,37 |
Pourcentage des SNP par rapport aux actes totaux | 22,63% | 24,23% | 23,05% | 23,28% |
Pourcentage des majorations facturées /actes | 1,76% | 1,35% | 1,07% | 1,46% |
Pourcentage des majorations facturées /SNP | 0,40% | 0,33% | 0,25% | 0,34% |
Alors quelles conclusions en tirer ?
Du point de vue des médecins : c’est évident, les généralistes travaillent, ils gèrent les soins non programmés, puisqu’un quart de leur activité en relève, régulent très bien cette activité tout seuls sans avoir besoin de recourir au Samu ou au SAS, et ne sont absolument pas reconnus pour cette part de leur travail : à 0,4 majoration par semaine c’est une manne de 6€ (bruts !) hebdomadaires.
Ou vu autrement, moins de 7 % des répondants ont facturé au moins une majoration, contre 93 % qui n’ont pas pu (ou pas voulu) le faire.
D’ailleurs les commentaires des répondants sont sans équivoque : « trop compliqué », « pas envie de passer par le 15 », « je gère tout seul », « ça ne sert à rien » …
Les soins non programmés en ville représentent quand même 1 400 000 consultations hebdomadaires, contre 400 000 pour les services d’urgences hospitaliers. Donc le but est atteint.
Du point de vue de la CNAM : c’est le jackpot ! le travail est fait, les soins non programmés sont pris en charge, pour pas un kopeck ou presque, et cerise sur le gâteau, comme il y a très peu de majorations SNP ou MRT facturées, on peut faire la moue et regretter la faible implication des libéraux !
Du point de vue du Ministère de la Santé : l’effet d’affichage a fonctionné à plein, on en a beaucoup parlé dans la presse, c’est donc un succès. Le Ministre a d’ailleurs réussi lors d’une intervention récente, dans le cours de la même allocution, à se féliciter du système de majoration SNP, « même si elle n’a été utilisée que par 4 % des médecins libéraux », et à affirmer que la pérennisation de la majoration de 15 euros sur les soins non programmés régulés (dont un bilan doit être réalisé) est une demande forte de la profession.
Le seul point sur lequel on peut tomber d’accord c’est qu’un bilan de la mesure doit être fait, et qu’il ne sera probablement pas positif, sauf si on fait preuve de beaucoup de mauvaise foi.
Mais élargissons un peu le débat. Les SNP représentent un quart de l’activité des généralistes, c’est donc que les ¾ de cette activité, c’est du suivi, de la prévention, de la surveillance. La posture de vouloir à tout prix valoriser les SNP par rapport à cette part importante de suivi est donc surprenante. Finalement, avec un peu de mauvaise foi, ça revient à pouvoir appliquer un « DE légal remboursé » sur les consultations ressenties comme « urgentes » par les patients. C’est donc finalement une mesure plus populiste qu’efficace, et qui hiérarchise les motifs de consultations en favorisant « l’urgence ». Son seul mérite est donc de mettre le tarif de la consultation à 40 €, soit le tarif que devraient avoir TOUTES les consultations.
En effet, si on regarde bien, les consultations pour SNP, en dehors de cette impression d’urgence ressentie, sont souvent relativement simples : 80% relèvent de l’infectiologie, de la petite traumatologie ou du mal-être, en particulier au travail. Ce sont donc des consultations mono-motif qui souvent se règlent assez facilement.
Il est donc totalement inacceptable de voir qu’à côté les consultations complexes (mais non valorisées pour autant) de suivi de patients polypathologiques, de patients âgés ou avec des difficultés d’accès au cabinet, de suivi de nourrissons et d’enfant, de surveillance de diabète, d’HTA, de pathologies cardio-vasculaires, de pathologies psychiatriques lourdes, ou les consultations multi-motifs restent à 25 €, un tarif bloqué depuis 6 ans malgré l’inflation qui le grignote. Toutes ces situations nécessitent pourtant du temps, de la coordination pluriprofessionnelle, éventuellement médico-sociale, des courriers, des coups de fil, des dossiers structurés.
- Pourquoi la VL est-elle réservée aux visites ? Les patients de plus de 80 ans en ALD qui font l’effort de venir au cabinet ne méritent-ils pas aussi une CL équivalente ?
- Pourquoi tous les examens obligatoires des enfants ne sont-ils pas valorisés au tarif « normal » qui devrait être COE ?
- Pourquoi n’y a-t-il pas de cotation pour l’ERTL4 ou le DPL3 ?
- Pourquoi ne peut-on pas associer les actes CCAM à la consultation pour intégrer à notre pratique les nouveaux outils que sont l’échographie, les EFR, les audiogrammes …
- Et pourquoi la CNAM ne nous fait-elle pas confiance pour la régulation de toute la part non programmée de notre activité et exige-t-elle une régulation extérieure humiliante ?
La médecine générale, et la médecine libérale plus largement, nécessitent un choc d’attractivité, pour ramener les médecins vers elles. Pas des rustines à l’efficacité plus que douteuse.
MAJ du 10/12/22
Finalement l’arrêté du 9/12/22 prolonge au moins jusqu’à la signature de la prochaine convention, et à titre rétroactif depuis le 1er octobre, la cotation SNP. Pendant 2 mois nous avons donc coté dans la plus totale irrégularité.
MAJ du 19/01/23
Pour qu’on ne m’accuse pas de manipuler les chiffres, je vais prendre ceux de la CNAM :
Sur les 22 semaines entre le 01/07 et le 30/11/22, seuls 14,35% des médecins libéraux ont coté au moins une majoration SNP, pour une moyenne de 1,96 SNP (allez, on va dire 2) par médecin.
Si on restreint aux 14,35% des médecins l’ayant effectivement fait, on arrive à 13,8 cotations, soit 0,62 par semaine.
Mais il faut prendre en compte que la plupart des majorations SNP ont été cotées dans les centres dédiés justement aux SNP, ce qui réduit encore la fréquence d’utilisation réelle par les autres médecins.
Dans ces conditions, le fabuleux cadeau de porter le plafond hebdomadaire de 20 à 30 SNP est seulement un cadeau pour ces centres. Et un signal fort pour dire que pour le Ministère de la Santé soigner les cystites, les bronchites ou les petits traumatismes vaut 60% de plus que d’équilibrer les diabétiques, surveiller les grossesses ou prendre en charge les patients polypathologiques.