Au départ une idée magnifique : la constitution par les soignants eux-mêmes de communautés de partage et de coordination, pour porter des projets, les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé ou CPTS.
Le principe en est même repris dans l’article 1 du texte de l’ACI CPTS proposé à la signature par la CNAM :
C’est pourquoi elles s’organisent à l’initiative des professionnels de santé de ville, et peuvent associer progressivement des autres acteurs de santé du territoire : établissements et services sanitaires et médico-sociaux et autres établissements et acteurs de santé dont les hôpitaux de proximité, les établissements d’hospitalisation à domicile, etc.
Et au final qu’obtient-on ? un texte hypertrophié de 58 pages avec les annexes, compliqué au possible, incompréhensible par la plupart de ceux qui auront le courage de le lire, et qui pose bien plus de questions qu’il n’en résoud.
On assiste à la répétition en boucle du mantra « l’exercice coordonné est le seul valable, l’exercice isolé est fini », point d’orgue d’une campagne de communication outrancière sur la fin programmée pour 2022 annoncée par le Président Macron des médecins travaillant seuls. Et pour bien nous en convaincre, on ne trouve pas moins de 13 fois la mention « les partenaires conventionnels s’accordent … » dans ce texte.
Pourtant à l’heure actuelle moins de 10% des médecins exercent réellement en MSP, alors que 50% des généralistes sont les seuls médecins de leur lieu d’exercice et 25% travaillent à deux. Il paraît sensé de laisser les évolutions se faire graduellement, en partant des initiatives de terrain, plutôt que de vouloir imposer à marche forcée ce qui est tout de même une révolution dans les mentalités des soignants.
Avec cette nouvelle vision des choses, la notion de patientèle disparaît pour être remplacée par de territoire. Et donc :
Pour élaborer ce projet de santé en cohérence avec le projet régional de santé, la communauté professionnelle doit établir un diagnostic territorial nécessitant d’examiner les données des caractéristiques de la population du territoire, sur l’offre de soins et les activités de soins, les flux de patientèle, etc.). Ce diagnostic doit permettre d’identifier le territoire d’action de la communauté en cohérence avec celui des autres communautés, les besoins de la population, les actions à mettre en œuvre pour y répondre, etc.
Magnifique raccourci, qui fait ainsi peser sur la CPTS un travail qui revient évidemment à l’ARS et aux tutelles !
Mais comme elles sont généreuses, ces dernières vont rémunérer (chichement) les CPTS, ce qui fait l’objet de la proposition d’Accord Conventionnel Interprofessionnel (ACI) dont nous discutons. Mais évidemment, en échange d’un contrat qui fixe de façon rigide les devoirs des CPTS, lesquels reposent tous sur les épaules des médecins.
Avec une grande inconnue : quel statut juridique pour ces CPTS ? il est dit qu’il est choisi par la CPTS, mais doit offrir la garantie d’une pluri-professionnalité et la possibilité de recevoir des financements de l’assurance maladie et de les redistribuer éventuellement. Actuellement seule la SISA le permet, mais une SISA géante à l’échelle du territoire d’une CPTS n’est tout bonnement pas envisageable pratiquement.
Quelles sont donc les missions « socle » obligatoires ?
Améliorer l’accès aux soins, et plus particulièrement faciliter l’accès à un médecin traitant et améliorer l’accès aux soins non programmés
La CPTS doit proposer (heureusement pas ENCORE imposer) un médecin traitant en son sein à tous les patients qui n’en n’ont pas … avec un soin particulier pour les populations fragiles, dont ceux qui dépendent de l’AME ! La CNAM a-t-elle oublié que par définition les bénéficiaires de l’AME n’ont pas accès au dispositif du médecin traiatnt ?
La CPTS doit mettre en place une organisation permettant
la prise en charge le jour-même ou dans les 24 heures de la demande d’un patient du territoire en situation d’urgence non vitale. Cette mission implique à la fois les médecins de premier recours et de second recours, et également les autres professions de santé concernées par ces demandes de soins non programmés dans leurs champs de compétences respectifs. Le recours à des protocoles définis au sein de la communauté professionnelle peut permettre de répondre à ces demandes de soins non programmées.
On met donc officiellement en place l’obligation de répondre à toute demande en moins de 24 h … sans s’occuper de la justification médicale réelle de la demande. Et ceci est valable aussi pour les médecins de second recours ! Chouette, je vais enfin pouvoir avoir des avis cardiologiques, ophtalmologiques et dermatologiques en urgence (et coter MUT au passage).
Notons aussi qu’une fois de plus c’est à la CPTS de mettre en place la quadrature du cercle, normalement du ressort des pouvoirs publics :
Pour réaliser cette mission, la communauté professionnelle doit identifier les organisations déjà existantes et les carences pour définir des solutions d’organisation à mettre en place en fonction des besoins identifiés lors du diagnostic territorial : à titre d’exemple, plages de soins non programmés à ouvrir par les médecins du territoire dans le cadre d’une régulation territoriale, rôle des maisons de garde hors organisation de la PDSA, accès simple à des examens de radiologie/biologie, accès à un second recours, mise en place de protocoles entre professionnels de santé, ou autres dispositions d’organisation propre aux professionnels du territoire.
Développer la télémédecine
Tiens, revoilà la nouvelle solution miracle à la pénurie médicale. Sauf que pour la télémédecine aussi, il faut un médecin derrière l’ordinateur … et que le problème c’est le manque de médecins disponibles. C’est l’histoire du sketch des croissants de Fernand Raynaud !
Favoriser les parcours pluriprofessionnels et les actions territoriales de prévention sont deux autres missions socle des CPTS. Dans le principe c’est probablement très bien. Dans les faits je n’ai déjà pas assez de temps pour le soin, et donc encore moins pour les missions « annexes ».
Parmi les missions optionnelles, on trouve le développement des groupes qualité qui existent déjà dans de nombreuses régions, et n’ont jamais vu de retour des sommes importantes économisées par l’assurance maladie grâce à leur action et la promotion des territoires envers les jeunes pour lutter contre la désertification : encore une mission dévolue aux tutelles dont elles comptent se décharger sur les CPTS.
Et la rémunération dans tout cà ?
Il est question dans ce texte de sommes qui peuvent paraître considérables au niveau local (on parle de K€), mais qui deviennent totalement ridicules quand on les rapporte à l’aire d’une CPTS, qui doivent regrouper de 40000 à plus de 175000 habitants, et de 1000 à 4000 soignants.
Rien que le montant du budget de fonctionnement est ridicule : de 50000 à 90000 €. Pour fonctionner, les CPTS auront besoin de personnel (très) qualifié, à commencer par des coordinateurs. Le budget alloué ne couvrira pas les frais de personnel (un temps plein à 2000 € net par mois représente 43000 € de budget annuel pour l’employeur …)
Et les autres budgets destinés à compenser les missions socle ou optionnelles, une fois rapportés à tous les libéraux de la structure, ne représentent plus que quelques dizaines d’euros par an. Pas de quoi s’enthousiasmer ni s’investir.
Surtout que ces sommes ne feront l’objet que d’une avance de 75%, le solde étant versé à N+1 une fois que la réalisation des objectifs aura été vérifiée.
Et quels sont donc ces objectifs ?
– progression de la patientèle avec médecin traitant dans la population couverte par la communauté professionnelle ;
– réduction du pourcentage de patients sans médecin traitant pour les patients en affection de longue durée, les patients âgés de plus de 70 ans et les patients couverts par la CMU-C ;
– taux de passages aux urgences générales, pédiatriques et de gynécologie-obstétrique non suivis d’hospitalisation (indicateur décroissant) ;
– part des admissions directes en hospitalisation adressées par un professionnel de santé de ville (indicateur croissant) ;
– augmentation du nombre de consultations enregistrées dans le cadre de l’organisation de traitement et d’orientation territoriale mise en place pour prendre en charge les soins non programmés.
Les items concernant l’hôpital (qui ne fait pas partie de la CPTS) sont particulièrement savoureux. Les médecins libéraux apprécieront.
N’en jetez plus la coupe est pleine ! et je ne parle même pas de la mise en place de CPL, CPR et CPN dédiées aux CPTS, alors que nous avons déjà du mal à trouver des représentants pour toutes les instances paritaires existantes !
Je voterai donc NON à l’adoption de cet ACI, même si je suis conscient des efforts importants que les syndicats en général et la FMF en particulier ont fait pour tenter de l’améliorer.
Mais je ne vote pas NON aux CPTS. Simplement je pense qu’il faut laisser aux libéraux le temps de mettre en place les structures, à leur rythme, en bâtissant sur des fondations solides, sous peine de tout voir s’effondrer sous le poids des contraintes qu’on veut leur imposer avec un calendrier totalement dément.