Chers amis,
C’est immuable depuis 1995, octobre voit chaque année arriver le Projet de Loi du Financement de la Sécurité Sociale, PLFSS de son petit nom, qui dicte de nouvelles mesures pour notre exercice. Contrairement à la Convention, ces mesures ne sont pas négociées avec la profession. Tout au plus les rapporteurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat nous convoquent pour une audition polie, histoire d’afficher une pseudo-concertation. Sachant qu’au final la Loi a toutes les chances d’être imposée via le magique Art.49-3 de la Constitution comme l’an passé.
Cette année seuls 2 articles nous concernent, mais ce n’est pas rien.
L’article 15 (à ce jour) instaure le principe de la rémunération prix-volume pour les radiologues et les biologistes, comme cela existe avec l’industrie pharmaceutique : plus vous faites d’actes, et plus la valeur de celui-ci diminue. L’objectif étant d’avoir une enveloppe constante, quel que soit le volume d’actes. Cela a déjà été négocié entre la profession et l’Assurance-Maladie, d’où la colère récente des biologistes qui viennent d’en voir l’application, mais la nouveauté est que s’il n’y a pas d’accord trouvé, la Caisse l’appliquera de toute façon. C’est ce que le gouvernement appelle négocier … Evidemment, dans le contexte actuel de pénurie médicale, ce principe n’est proposé qu’aux spécialités « prescrites » (oui je sais, le radiologue est un confrère comme un autre, qui a le choix des examens effectués, mais en pratique nous savons que le patient a à faire avec le manipulateur-radio qui va réaliser l’examen demandé). Pas de risque pour les autres, car nous serions à contrario tentés de limiter notre activité pour la voir mieux rémunérée. Mais le principe d’imposer en cas d’échec de négociations est néanmoins détestable.
Le 2ème article important vise à baisser la prise en charge de nos consultations par l’Assurance-Maladie Obligatoire (AMO) de 70% à 60%. Je n’entre pas dans des considérations politiques, mais comment nos ministres successifs de la Santé et le Directeur de la Caisse M. Fatôme peuvent-ils rester crédibles, lorsque face à notre demande d’espace de liberté tarifaire pour tous, ils nous répondent, les yeux larmoyants et la main sur le coeur «Docteur non, vraiment vous n’y pensez pas ! Faire payer vos pauvres patients alors qu’ils sont dans la souffrance ! L’égal accès aux soins, tout ça tout ça …». Mouais. Le nombre de consultations annuelles en France étant de 5,5 (en 2021), si je demande 10 euros supplémentaires le patient devra payer 55 euros par an. Très loin des sommes déboursées pour le paiement des franchises doublées en début d’année et des augmentations des primes des assurances complémentaires.
La Loi du Financement de la Sécurité Sociale, c’est elle qui l’an dernier avait limité à 3 le nombre de jours d’arrêts de travail prescrits lors de téléconsultations, avec une dérogation pour les médecins traitants envers leurs patients. Le but était louable : exclure les téléconsultations pour ce motif sur les plates-formes commerciales qui en faisaient leurs choux gras. Mais l’expérience montre que d’autres médecins sont aussi susceptibles de prescrire des arrêts plus prolongés en téléconsultations, tout particulièrement les psychiatres. Certains médecins ont continué de le faire, méconnaissant cet article. On aurait pu penser que la Caisse aurait fermé les yeux sur cette pratique non déviante. Mais non, une généraliste et un psychiatre viennent de se voir notifier par la CPAM des Côtes d’Armor (22) des « indus » de plusieurs milliers d’euros : ils doivent purement et simplement payer eux-mêmes de leur poche les indemnités journalières ainsi prescrites ! La FMF est évidemment là pour les aider avec sa cellule juridique. Nous réclamons un moratoire sur ces procédures, et demandons dans le même temps aux députés et sénateurs de voter un amendement à cette loi. Pendant ce temps, les sites incriminés continuent d’exister comme celui-ci, qui proposent des arrêts de travail pour 9 euros, avec la bienveillance de la Caisse parfaitement au courant.
Parmi les Caisses zélées, nous retenons aussi la CPAM 38 (Isère), qui s’était déjà distinguée en 2023 pour le nombre impressionnant de poursuites MSO/MSAP (Mise Sous Objectifs/Accord Préalable) pour les arrêts de travail. Cette fois il s’agit des DE. Un premier médecin généraliste vient de recevoir une invitation à se rendre en Commission de Conciliation pour y expliquer ses bonnes raisons à appliquer très souvent des DE. Pas très méchant à ce stade, sauf qu’il est écrit que si les explications ne convainquent pas la Caisse, celle-ci lancera une procédure conventionnelle (dont je vous rappelle que la sanction possible est une non prise en charge des cotisations par la Caisse pour quelques mois). Comelistes et autres MPD, rapprochons-nous et soyons prêts à réagir. Et retenez : l’Isère, un département où il ne fait pas bon exercer.
Puisque nous sommes dans les avanies, on retiendra le réquisitoire édifiant de la CNAM lors d’un procès l’opposant à des médecins qui contestent la récupération de leur DIPA (vous savez, cette aide généreusement octroyée durant le COVID pour nous aider à faire face à nos charges, puis reprise dès l’année suivante): « Que des professionnels de santé tirent aujourd’hui profit de la rédaction d’un texte pris dans l’urgence, afin de leur permettre de faire face à leurs charges professionnelles, paraît bien indécent. » Que l’industrie pharmaceutique ait reçu des subventions considérables pour développer un vaccin Covid qu’elle revend ensuite à son seul profit, c’est normal. Que les prix des gants, gels hydro-alcooliques et autres masques aient plus que triplé durant cette période (sans réellement rebaisser par la suite), c’est encore normal. Mais qu’un médecin libéral veuille garder les quelques euros accordés en compensation d’un engagement sans faille, que certains ont payé de leur vie, ça c’est indécent ! Mais dans quel monde on vit ?
Et après tout ça, la N°2 de la CNAM Mme Cazeneuve s’offusque dans une interview que les médecins libéraux affichent une mauvaise image de leur exercice, n’incitant pas les jeunes à s’installer (oui oui, si les jeunes ne s’installent pas, c’est aussi notre faute). Alors nous vous le demandons Madame Cazeneuve : donnez-nous un argumentaire loyal donnant envie d’exercer de la médecine de soins en libéral. Peut-être que si vous commenciez déjà par cesser les attaques tous azimuts de médecins qui n’ont rien de délinquants, nous serions plus optimistes sur l’avenir de la profession.
Malgré cet environnement hostile les médecins continuent à faire de leur mieux, en travaillant en coopération avec les autres professionnels de santé pour maintenir nos patient âgés ou handicapés à domicile. Pour les aider, est paru un décret instaurant les ESCAP (Equipes de Soins Coordonnés Auprès du Patient). Il s’agit de petites structures souples centrées sur un patient (au cadre bien défini), d’au moins 3 professionnels de santé dont 1 médecin (en général avec un pharmacien et un infirmier), dont l’objectif est une meilleure communication entre les acteurs, via un outil sécurisé. Actuellement l’outil reste à développer, et ce n’est pas l’appât du gain qui va nous attirer, puisque la rémunération est limitée à 100 euros par an, pour au moins 5 ESCAP constituées, + 100 euros pour payer l’abonnement au logiciel de coordination. Les infirmiers semblent néanmoins demandeurs, et peut-être certains d’entre vous seront intéressés par cet exercice coordonné local.
Petite info pratique pour finir : les médecins employeurs ont reçu une notification à payer une cotisation à l’ADSPL. Il s’agit d’une taxe pour le dialogue social, qui est redevenue obligatoire comme nous l’explique Richard Talbot. Obligatoire mais pas ruineuse : en moyenne 9 euros par salarié et par an.
Je vous souhaite une bonne semaine.