Les grains de sable

On assisterait donc à l’extinction de la médecine de proximité, à la disparition du « médecin d’à coté », à la « ringardisation » du « vieux » médecin de famille, bref à l’hallali des valeurs fondatrices de la médecine et du colloque singulier entre le médecin et le malade.

Malgré toutes les attaques des milliers de médecins indépendants et autonomes, de plus en plus maltraités, continuent leur travail en défendant leurs valeurs : l’obligation morale de la connaissance et de la transmission du savoir, la primauté de l’individu et le respect de ses droits, l’égalité de la prise en charge des patients, le respect de la vie…

C’est avec une grande perversion que la technocratie et la médecine industrielle attaquent les médecins de proximité justement sur ces valeurs fondatrices :

  • Ces médecins seraient la source de l’inégalité aux soins
  • Ces médecins ne se formeraient pas
  • Ces médecins ne transmettraient pas leur savoir
  • Ces médecins n’exerçant pas dans les structures technocratisées et agrées seraient des sortes de névrosés sociaux defendant des valeurs conservatrices.
  • Ces médecins ne respecteraient plus leurs valeurs refusant de travailler jour et nuit.

La liste est longue et désespérante pour ceux qui travaillent quotidiennement depuis 10, 20 30 ou 40 ans entre 56 et 70 heures par semaines hors garde, formation, pour un revenu de médecin salarié hospitalier.

C’est, j’en suis sur, cette liste honteuse déroulée par les tutelles à longueur d’année et depuis des décennies, avec la participation des assurances, des mutuelles, de certains hospitaliers et d’associations de patients sponsorisées par ces même tutelles et ces même lobbies qui participe en chef au « burn-out » de la profession, au désenchantement des professionnels installés et à la disparition de l’offre de soin de proximité par non renouvellement et une crainte de l’installation des jeunes générations.

Oserais-je ajouter la complicité active ou passive de certains confrères ou représentants nationnaux ou locaux de syndicats invités à participer à des « diners de cons » au nom de la représentativité de la profession ou de l’expertise.

Bien sur, jeter l’opprobre et épuiser moralement une profession dont le principal défaut aux yeux des technocrates et du système ultra libéral et industriel est d’être indépendante et au service de la personne et de ses droits, n’est pas suffisant pour la mettre à genou.

Il faut aussi l’épuiser physiquement alors on charge la barque de ses obligations :

  • Réquisition par les préfectures des médecins fatigués et vieillissants.
  • Accroissement des charges administratives, des certificats inutiles. Contrôles humiliants, délit statistiques, tribunaux exception.
  • Règlements ubuesques et inapplicables.
  • Et bientôt dans le MSP, les « prisons dorées » pour la jeunesse innocente les réunionites chères au monde hospitalier (réunions pluridisciplinaires de coordination, réunion commission de prévention, d’éducation thérapeutique…).

Et puis comme si il ne suffisait pas d’humilier et d’épuiser, car les médecins ont l’habitude de se battre contre l’adversité et de résister, on ajoute un troisième étage, supprimer les moyens :

  • Blocages des honoraires conventionnels
  • Accroissement des charges
  • Pseudo forfaitisations ridicules

Malgré tout cela les médecins de proximité autonomes, les médecins dit isolés, les médecins d’à coté, les médecins de famille, indépendants, résistent toujours.

  • Parce que les médecins ne peuvent être réduits à être producteurs de soins techniques standardisés, délégués ou pas.
  • Parce que les patients ne sont pas des consommateurs consuméristes mais d’abord des individus qui souffrent, et
  • Parce que c’est avant tout de l’interaction entre deux individus qui se font confiance, le patient et le médecin que nait le processus thérapeutique

C’est pour cela que la médecine de proximité que la médecine indépendante et autonome résistera malgré tout.

Elle est et sera toujours la part humaine, la part humaniste de la médecine, celle qui donne sa dignité à l’homme car ni les patients, ni les médecins ne sont des numéros, des codes-barres, des dossiers, des cas.

Les médecins de proximité indépendants resteront toujours et encore à l’avenir les grains de sable enrayant le système tayloriste rêvé par la bureaucratie sanitaire et les investisseurs de fonds de pension et des assurances. Comme ils ont combattus l’obscurantisme, l’ignorance et le charlatanisme par le passé.

La santé n’est pas une marchandise, un produit industriel et nous tous (médecins et patients), grain de sable dans le « grand système », soyons fiers de défendre cette médecine là, humaine et durable.

Il faut savoir refuser l’inacceptable.

JM MATHIEU
Médecin généraliste rural
Ancien attaché du CHU de Tours
Maitre de stage
Directeur de thèse

Jmm.egcentre@wanadoo.fr
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