Le DMP est toujours mal parti…

Véritable serpent de mer de l’informatique médicale, le DMP (Dossier Médical Personnel, puis Dossier Médical Partagé, voire Dossier Mal Parti pour les mauvaises langues), chantier lancé en 2004 par Philippe Douste-Blazy et qui devait être opérationnel en 2007, peine toujours à décoller.

La gouvernance confiée à la CNAM en 2014 va-t-elle modifier les choses ?

Entendons-nous bien : dans son principe, le DMP est une bonne idée ; permettre aux médecins d’accéder aux informations médicales des patients, en particulier ceux qu’ils ne connaissent pas, pour améliorer la pertinence et la sécurité des soins ne peut qu’aller dans la bonne direction. Tous les professionnels de santé en conviennent. 

La CNAM fait pourtant tout ce qu’elle peut pour pousser ce malheureux dossier : les agents d’accueil des CPAM sont maintenant habilités à ouvrir des DMP, de même que les administratifs des hôpitaux, et il y a une incitation financière via le Forfait Structure à utiliser le DMP, au moins de façon symbolique, puisque normalement la consultation d’au moins UN dossier DMP via le logiciel métier avant le 31/12/2017 était théoriquement nécessaire. Et même cette dernière incitation ne suffit pas, si bien qu’au moins pour 2017 la CNAM accepte par dérogation la consultation par l’interface web.

L’intention est évidemment de réussir à convaincre les médecins de l’intérêt du DMP, pour qu’ils s’y lancent ensuite massivement. 


Alors pourquoi est-ce que ça s’obstine à ne pas marcher ?

 Le diagnostic a été posé par Marisol Touraine, pour une fois clairvoyante, dès 2014 :

« La difficulté à laquelle nous sommes clairement confrontés est que les professionnels de santé ne se sont pas appropriés ce dossier médical »

C’est effectivement exactement là même chose que pour les MSP vides : on fait les choses à l’envers. Pour les MSP on fabrique des « boîtes à docteurs » en espérant qu’elles vont se remplir par génération spontanée, pour le DMP on pond un truc improbable et inutile sans consulter les utilisateurs en espérant qu’ils vont se précipiter pour l’utiliser.

Les freins sont pourtant à la fois nombreux et faciles à voir :

1 – On demande aux libéraux de PAYER pour l’utiliser

Remarque bassement matérialiste : pour utiliser le DMP dans son logiciel, il faut acheter l’extension ad hoc que les éditeurs, qui ont payé du temps de concepteurs pour les développer, vont forcément facturer (et c’est d’ailleurs parfaitement logique). Et parfois même selon les logiciels payer tous les ans.

C’est la même situation que la télétransmission : il faut payer lecteur CPS, informatique, logiciel, éventuellemnt installation, pour qu’au total l’intérêt soit du côté des institutions. On m’objectera que l’utilisation du DMP va permettre le déblocage du premier palier du Forfait Structure, donc une rémunération. Mais il n’en reste pas moins qu’on demande d’abord un effort financier aux libéraux.

2 – Le DMP est plantogène

Ce n’est un secret pour personne que l’installation de l’accès au DMP est souvent ardue. Les diverses versions du galss.ini, du composant d’accès au lecteur CPS, à la CV ne sont pas toujours compatibles avec les mêmes composants nécessaires à la télétransmission ou à l’accès à EspacePro … ce qui peut obliger à des ajustements manuels, voire à faire appel à un installateur (payant … cf le paragraphe au-dessus). Ou à demander aux informaticiens de la CPAM de prendre la main sur votre machine par TeamViewer, si du moins vous leur faites confiance.

3 – Le DMP n’offre pour l’instant aucune valeur ajoutée médicale

Et pour cause. Non seulement le nombre de DMP actuellement ouvert est ridiculement bas (500 000 ? il n’y a plus de publication des chiffres officiels depuis que l’ASIP n’est plus en charge du dossier), mais au moins la moitié ne contiennent rien d’autre que la fiche d’identité. Même l’alimentation automatique par l’historique des remboursements est pour l’instant réservée à quelques départements test, et de toute façon les médecins capables d’accéder au DMP y ont déjà accès via AMELI …

Par ailleurs le DMP appartenant au patient (et c’est bien normal) ce dernier peut choisir de supprimer ou de masquer certaines informations, ou de ne pas autoriser certains médecins, ou même le mode « bris de glace » qui permet normalement de consulter le DMP en cas d’urgence… ce qui enlève quand même une grande partie de son intérêt.

Enfin, sauf à être particulièrement bien équipé (il faut un ordinateur, un lecteur de CV et un accès internet), l’accès chez ceux pour qui ce serait le plus utile, en visite chez les patients âgés ou en EHPAD, est impossible.

4 – Alimenter le DMP est chronophage… et non valorisé

Évidemment ça dépend aussi du degré d’intégration du DMP dans chaque logiciel, mais toute procédure nécessitant une connexion sécurisée avec CPS prend toujours un peu plus de temps.

Et pour alimenter le DMP il faut pouvoir y accéder … donc se connecter une première fois avec la CV du patient et valider la procédure d’autorisation d’accès. Ensuite, normalement, le médecin peut (théoriquement) accéder au DMP de son patient pour l’alimenter même en l’absence de CV, mais rien n’est prévu pour payer ce travail. On en revient au point 1 bassement matérialiste : on demande aux médecins libéraux un travail gratuit qui ne rapporte qu’à la collectivité, comme pour la télétransmission.

Ensuite se pose le problème de l’alimentation de ce DMP. Il est prévu que ce soit l’émetteur d’un document qui soit responsable de le mettre (ou non) dans le DMP : les spécialistes de second recours pour les CR d’examen, les laboratoires pour la biologie ou l’ana-path, les services hospitaliers pour les CR d’hospitalisation, le médecin traitant pour le Volet Médical de Synthèse (VMS).

Le VMS est à l’évidence un document extrêmement utile dans le cadre du DMP. Mais c’est aussi un document à haute valeur médicale ajoutée, pas forcément facile à rédiger, et qui justifierait à lui seul une rémunération spécifique conséquente.

Pour les spécialistes de second recours le problème se pose autrement : qui doit rémunérer les secrétaires pour le travail supplémentaire représenté par l’alimentation du DMP ?

Pour les hospitaliers enfin se pose le problème de la CPS. La plupart n’en n’ont pas. Et sans CPS, pas de DMP. 
L’ assurance maladie va développer une procédure de consultation des hôpitaux sans carte CPS mais sous deux conditions définies par la CNIL : avoir un système d’authentification forte (à deux facteurs) et un lien avec le RPPS afin de vérifier qu’il s’agit bien d’un médecin et de tracer son identité dans le DMP du patient comme cela est fait avec la carte CPS. Mais les secrétaires n’ont pas de RPPS. Comment donc alimenter les DMP avec les documents hospitaliers ?

Et si les DMP ne sont pas alimentés, on revient au point 3 : pas de valeur ajoutée médicale.

5 – Le DMP n’a pas été pensé pour être structuré.

C’est à mon sens le point le plus grave et le plus bloquant.

Les points 1 à 4 ne sont finalement que des points techniques qui peuvent facilement s’arranger avec un peu de bonne volonté, de technique, et de reconnaissance du travail effectué.

Mais actuellement le DMP est conçu comme un empilement de documents PDF, certes faciles à lire quelle que soit la machine de consultation, mais sans structure : pas de plan, pas de rangement, pas de structuration pour les vaccinations ou la biologie … Un document de biologie dont on ne peut pas extraire facilement les données chiffrées est un bout de papier sans aucune valeur.

Supposons que demain tous les professionnels de santé soient touchés par la grâce et décident de créer et d’alimenter les DMP. Très rapidement on va se retrouver devant des empilements inutilisables de documents sans ordre et sans hiérarchie. Tous les médecins travaillant avec des dossiers informatisés sont confrontés à cette nécessité de structuration de leurs dossiers.

Qu’est-ce qui est important dans un dossier médical : la page du pense-bête avec les antécédents, les allergies, les vaccins, les traitements chroniques, le poids, la taille, la TA, les dernières variables biologiques pertinentes … bref le VMS !

Un DMP qui ne comporterait QUE le VMS serait plus pertinent qu’un DMP rempli de CRH, CRO, des 15 dernières biologies et de tout l’historique des remboursements.

Que faut-il en retenir ?

Les médecins sont pragmatiques. Ils vont donc créer tous UN DMP (le leur !). La CNAM va se féliciter de 100 000 nouveaux DMP créés. 

Mais en pratique la situation n’aura pas vraiment évolué si ce n’est que la facture du DMP continuera à augmenter alors que le service rendu n’est pas à la hauteur. 

Même si Mme Touraine avait correctement diagnostiqué le problème, les solutions correctes (concertation et prise en compte des besoins des médecins) n’ont pas été apportées. Encore une occasion ratée.