La Ministre de la Santé publie dans Marie Claire … Ce serait comique si ce n’était tragique.
Car c’est ainsi que depuis 30 ans, toutes sortes de ragots de comptoir, de préjugés, sont colportés dans la population à travers des articles aussi creux que l’esprit de ceux qui les suggèrent. Mais jouons donc le jeu. Ainsi donc, l’empathie devrait être enseignée.
Il devrait donc y avoir une certification d’empathie, des professeurs d’empathie, des tests d’empathie.
Est ce possible en première année ? la PACES, cette moulinette à étudiants à qui on demande d’apprendre par coeur et de recracher des milliers de data dont plus de la moitié sont parfaitement inutiles au métier de soin. Je cherche, je cherche, mais point de module d’empathie.
Peut être les textes de sciences humaines ? Rappelons que l’on demandait alors aux étudiants d’apprendre par coeur plusieurs résumés de textes « humanistes », avec un nombre défini de mots ; à Marseille on leur a même demandé d’acheter un stylo spécial capable de former des caractères assez fins pour que le texte entre dans l’encart réservé à cet effet sur la copie…
Dans l’ambiance survoltée de concours, le sens compte bien moins que le nombre de mots à apprendre par coeur ainsi que les mots clés. Donc non, l’empathie ne peut être enseignée en PACES. Avec les années supérieures, vient le temps du lent et laborieux apprentissage des pathologies, leurs symptômes, les traitements, mais aussi des stages hospitaliers dont l’encadrement est très très aléatoire, assez souvent maltraitant, sexiste, avec un système de validation fondé sur le passage des « cliniques », mais aussi les sanctions en cas d’absence, de retard ou d’un quelconque comportement non agréé par le responsable. Bref, pas vraiment un coaching, mais un gavage.
Empathie ? Pas vraiment, dans la grande majorité. Arrive alors l’ECN, deuxième moulinette au tamis trés fin. D’examen il n’a que le nom, il s’agit bien d’un concours si l’on considère que ces étudiants ont chacun des attentes, des espoirs et que les atteindre dépendra d’un classement où quelques points peuvent valoir des centaines de places en plus ou en moins . Mais c’est la règle du jeu et ils le savent.
La lutte est évidemment féroce, la préparation se fait dans une angoisse extrême, au sein de facultés où bienveillance et empathie sont loin d’être les valeurs phares, en tous cas loin derrière les « performances » de ces étudiants chair à canon, vitrines de l’équipe dirigeante de l’université. A t’on déjà vu un doyen venir à la rencontre des étudiants dans les semaines précédant cet examen tant redouté, pour les encourager, leur dire la confiance, l’espoir , la fierté de former ces jeunes médecins de demain ?
Non. Jamais. La fac n’est pas un lieu de bienveillance, mais de contrôle et de sanctions.
Alors dites moi, madame La Ministre, si ces jeunes n’avaient pas la foi en leur futur métier chevillée au corps, si l’empathie ne faisait pas partie intégrante de leur âme dans l’immense majorité des cas, croyez vous pouvoir trouver un espace quelconque au cours des études puis du cursus hospitalier, seul lieu de formation, où ils pourraient « l’apprendre » ?
Bien sur que non . Certains auront la chance de croiser des enseignants plus humains, désireux de transmettre des valeurs autant que des connaissances et auront une démarche socratique, maïeutique, plutôt que castratrice.
Pire, on « désapprend » ces qualités humaines pour les remplacer par des techniques de management, des process réglés ne tolérant aucun aléa, des comportements statistiques.
L’empathie est en chacun d’entre nous, mais le système est en capacité de la tuer. Le taux de suicide chez les étudiants en médecine est terrifiant, comme l’est le nombre de jeunes qui y ont seulement pensé.
Comment est ce possible ?
Madame La Ministre, c’est à vous, aux institutions, aux dirigeants qu’il faut enseigner l’empathie. Vous, les institutionnels qui avez refusé de supprimer les franchises médicales, qui imposez des rythmes infernaux dans les établissements, qui déremboursez les soins, qui traquez les « faux malades » et culpabilisez patients et soignants sur le sujet des arrêts maladies, qui avez érigé comme première règle dans la Santé la maîtrise comptable, ouvert le marché du soin aux organismes purement financiers, ridiculisé notre code de déontologie, la liste est bien trop longue.
Il faut cesser les gouvernances maltraitantes, qui génèrent des maltraitants et brisent les vocations. On ne s’engage pas dans le soin par hasard et vous devriez le savoir. Il faut cesser d’apprendre la désespérance, de forger la rivalité.
Alors, allez donc instruire les lecteurs ( ices ) de Marie Claire si cela vous amuse, faites donc part de votre bonne volonté, mais ouvrez les yeux, osez regarder la réalité.
Ne serait ce pas plutôt au système qu’il faudrait apprendre l’empathie ?